Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/553

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D’autres, qu’on croirait pourtant bien devoir rapporter à cette époque, sont postérieurs et ont été pris à d’autres langues. Ainsi assassins, où on reconnaît facilement le nom des Assacis, les sicaires du Vieux de la Montagne, dont il est si souvent question dans nos chroniqueurs, nous est venu plus tard, comme nom commun, par l’italien. Si réel en effet que fût sur nous l’ascendant des Orientaux plus civilisés, la pénétration n’eut pas le temps de se produire ; en outre les Latins établis outre mer revinrent en si petit nombre que leur langage ne put influer sensiblement sur le langage général[1].

Du côté musulman, il resta aussi quelques traces, mais peu nombreuses, de notre passage. Au dire des spécialistes, l’arabe du XIIe et du XIIIe siècle avait un certain nombre de mots francs, particulièrement des noms de dignité, facilement reconnaissables[2] : inbirur (emperor), brinz (prince), kund (comte), biskond (vicomte), bourdjâsi, al bourdjâsiyya (la bourgeoisie), barouans, (barons). On en cite encore quelques autres istabi, sàboûn, sirdjand, asbitari, qui sont sans doute estable, savon, sergent, hospitalier. Dâmâ (dame), dâmât (les dames), se trouve, paraît-il, dans une lettre de sultan Baibars Ier à Boëmond VI (1268)[3]. C’est en somme fort peu de chose[4]. Le « déluge français », comme dit un écrivain arabe, ne submergea rien, il fut submergé, et ce qui resta des Francs apprit l’arabe. À Tripoli, dès le commencement du XIIIe siècle, un prêtre, Jacques de Vitry, ne pouvait plus parler roman à ses coreligionnaires, et force lui était d’entendre des confessions par interprètes, la langue du pays étant le sarrazin[5].

Le français en pays grec. — À Constantinople, en Achaïe, en Morée, et à Chypre, ce fut non plus en présence des langues sémitiques, mais en présence du grec que se trouva le roman. On pourrait relever chez les contemporains de la conquête, ainsi chez l’historien Nicetas Akominatos, qui nous a laissé la contre-partie de la Chronique de notre Villehardouin, un certain

  1. Il faudrait ajouter que le persan, a fourni soit directement, soit indirectement, quelques mots au français du moyen âge, des noms de couleur : gueules, lilas, et d’autres comme : échecs, épinard, caravane, laque, nacaire ; bazar, firman, et quelques autres sont modernes.
  2. Note wikisource : Cette note porte le même numéro que la précédente, mais ne semble pas parler du même sujet.
  3. On ne peut préciser si bordj représente l’allemand burg, le français bore ou l’italien borgo. Kastul est certainement le latin castellum, mais venu par où ?
  4. . Cf. une note de M. Hartwig Derenbourg dans les Mélanges Renier, p. 453.
  5. Mém. de l’Acad. de Bruxelles, XXIII, 41, 1849.