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rares, et on voit en 1438 la comtesse Anna de Stafford s’excuser encore de s’en servir pour son testament[1]. En justice, l’anglais ne pénétra pendant long-temps pas ailleurs que dans les protocoles ; tout le reste demeura français, au point qu’un jurisconsulte du XVe siècle, déjà cité par du Cange (Gloss. Pref., XX), Fortescue, jugeait encore impossible à un juriste de son temps de se passer du français[2]. Cromwell en avait abrogé l’usage, mais cette « nouveauté » disparut sous Charles II, et c’est au XVIIIe siècle seulement que l’emploi exclusif de l’anglais devint obligatoire devant les tribunaux. En 1706 une motion en ce sens avait été repoussée à la chambre basse ; elle eut encore peine à passer le 4 mars 1731[3].

Au Parlement, l’anglais apparut d’abord dans les pétitions (1386). Mais on n’en rencontre que quatre exemples encore sous le règne d’Henri V (1413-1422). Il faut descendre à 1444 pour les trouver, régulièrement rédigées en cette langue. Il n’y est pas répondu en anglais avant 1404, Les procès-verbaux des séances ne se tiennent en anglais qu’à partir d’Henri VI. Les lois continuent aussi à être formulées en français ou en latin jusqu’à la fin du XVe siècle (1488-1489). La force de la tradition a même été si grande qu’aujourd’hui encore, certaines formules du pouvoir exécutif sont en français : la Reine approuve les bills par les mots : la Reine le veult ; elle met, plus rarement, son veto en ces termes : la Reine sadvisera. Elle « remercie aussi ses loyaux sujets », elle donne « congé d’élire » un évêque, etc.

Les premiers travaux sur la langue française en Angleterre. — L’habitude traditionnelle, qui se maintint longtemps en Angleterre d’apprendre le français, eut une conséquence que je ne saurais négliger de mentionner. Elle y fit naître toute une série de travaux destinés à l’enseignement de notre langue, qui n’eurent longtemps aucun équivalent sur le continent, et constituent la seule littérature grammaticale que nous ayons avant le XVIe siècle[4].

  1. e premier testament en anglais connu est de 1258.
  2. Lib. de laud. Angl. c. 48 dans Ducange, Glossarium mediæ et infimœ ; latiniyatis, Pref., XIX.
  3. Encore s’agissait-il là d’exclure le latin plus que le français. D’après Fishel. Verfassung Englands, 2e éd., 440, c’est de nos jours seulement que le français a complètement disparu.
  4. Il nous est parvenu deux grammaires provençales du moyen âge, celle de