Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/577

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J’ai assez insisté sur le caractère que donnait à la vieille langue sa déclinaison pour ne pas m’étendre sur les conséquences qu’entraîna sa chute, et qui retentirent autant dans la prononciation que dans la syntaxe. Ce n’était plus là un changement, mais une désorganisation.

L’influence savante. — Il a été dit ailleurs que sous le règne de Charles V, et grâce en partie à son influence, il s’était produit une véritable renaissance. La langue en fut profondément affectée. Depuis longtemps, j’en ai déjà averti, et il était impossible qu’il en fût autrement, elle subissait l’influence du latin, et en reprenait des termes qu’elle avait jadis abandonnés. Mais, quoique le nombre de ces termes eût fini par devenir au XIIIe siècle assez considérable, que même certains emprunts fussent voulus et ne résultassent pas simplement du commerce forcé que tout homme cultivé avait alors avec le « clerquois », jamais néanmoins on ne s’était systématiquement appliqué à naturaliser des mots latins, en vertu d’une théorie arrêtée sur la pauvreté relative de notre idiome, et la nécessité de l’enrichir, de l’ennoblir même par la communication des idiomes anciens.

Or c’est là ce qui caractérise les latiniseurs de l’époque nouvelle. Ils ont désormais une doctrine et un système. À tort ou à raison, soit éblouissement des chefs-d’œuvre qui leur sont révélés, soit paresse d’esprit et incapacité d’utiliser les ressources dont leur vulgaire disposait, ils se sentent incapables de l’adapter tel quel à des besoins nouveaux, et ils le déclarent.

Oresme particulièrement s’explique à plusieurs endroits, notamment dans « l’excusation et commendation », qu’il a mise en tête de la traduction des Ethiques : D’abord le latin est souvent intraduisible[1] ; en outre — et cette seconde raison mérite plus encore d’être notée — « une science qui est forte, quant est


    au vers 5 on le voit accoler des formes du sujet et du régime : ly roi très nobles, ly grand Dieux adorez ; on devrait avoir ici le grand Dieu adoré.

  1. « Si comme entre innumerables exemples puet apparoir de ceste tres commune proposition : Homo est animal. Car homo signifie homme et femme, et nul mot de françoys ne signifie équivalent, et animal signifie toute chose qui a ame sensitive et sent quant l’en la touche, et il n’est nul mot en françoys qui ce signifie précisément. Et ainsi de plusieurs noms et verbes et mesmement de aucuns sincathegoremes, si comme pluseurs propositions et autres, qui très souvent sont es livres dessus dis que l’on ne puet bien translater en françoys ». Ap. Meunier, Essai sur la vie et les ouvrages de Nicole Oresme, Paris, Lahure, 1857, p. 92.