Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
48
LES FABLES ET LE ROMAN DU RENARD

celui-ci nous a fait sur sa personne quelques confidences qui nous permettent d’établir la date à laquelle il écrivit, et en outre nous le présentent sous un jour assez curieux. Il avait commencé par être clerc ; mais, comme il le dit à plusieurs reprises et chaque fois avec un accent de tristesse, il dut renoncer à cette profession à cause d’une femme qui l’avait « mis à petit port ». À la fin d’un de ses récits, il annonce qu’il va en donner un autre,

Que cil clerc a encores fait.

Mais il répare aussitôt sa distraction :

Clerc, non, car couronne n’ot point ;
Par femme perdi il ce point.

C’est probablement cette mésaventure qui le décida à devenir commerçant :

… Et cil qui fist ce livre
Merechans fu et espiciers
Le tems de dis ans tout entiers.

Il dut réussir ; car, à l’en croire, c’est pour occuper ses loisirs qu’il songea à composer son roman :

Environ quarante ans avoit
Quant ceste pensee lui vint
Par oiseuseté qui le tint.

Il y a sans doute quelques contradictions dans ses nombreux dires sur l’année où il commença son œuvre et sur le temps qu’il mit à l’achever ; mais, ce qui est incontestable, c’est que, parmi les faits contemporains qu’il rappelle, aucun n’est postérieur à l’année 1328.

Il serait impossible de présenter une analyse du Renard le Contrefait. Dans les précédents romans, qu’ils fussent un ensemble de contes à rire ou un groupe d’histoires satiriques, un lien réel unissait les branches les plus diverses, une idée générale commune leur donnait une certaine cohésion ; le récit, plus ou moins encombré de digressions, se déroulait néanmoins librement, ayant sa fin en lui-même et concentrant tout l’intérêt.

Ici, au contraire, tout est décousu : l’auteur a écrit au jour le