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LES FABLIAUX

d’hui, leurs rimes, voire leurs assonances, sont toujours phonétiquement exactes, la facture de leurs vers le plus souvent suffisante, parfois excellente à force d’aisance et de franchise.

De même, la langue des fabliaux est juste et saine, vraiment française, souvent même heureuse en son tour, pure de toute prétention pédantesque. Qu’après cela, il n’en faille pas faire grand mérite à nos rimeurs, on n’en saurait disconvenir. On peut bien dire, avec M. Brunetière, « qu’ils usèrent de la langue de tout le monde, qu’ils en usèrent comme tout le monde et que la qualité de la langue de leur temps favorisa le développement du genre ». La langue du xie siècle, balbutiante encore, pauvre et raide, n’aurait eu ni la souplesse, ni la familiarité nécessaires à l’expression des détails de la vie commune ; et la langue pédantesque, prétentieuse, lourde et emphatique du xive siècle ne devait plus les avoir. Les trouvères et le genre profitèrent de cette heureuse fortune d’être venus en la période classique de la langue du moyen âge.

Ainsi le poète ne cherche qu’à dire vitement et gaîment son historiette, sans recherche ni vanité littéraires. De là, les particularités du style des fabliaux, défauts et qualités.

Et d’abord, ses défauts. La matière de ces contes étant souvent vilaine, l’esprit des fabliaux étant souvent la dérision vulgaire et plate, nos poèmes se distinguent aussi, toutes les fois que le requiert le sujet, par la vilenie, la vulgarité, la platitude du style. Nul effort, comme chez les conteurs érotiques du xviiie siècle, pour farder, sous la coquetterie des mots, la brutalité foncière des données ; mais, avec une entière bonne foi, la grossièreté du style suit la grossièreté du conte. On nous dispensera d’en alléguer ici des exemples ; mais, à ouvrir au hasard le recueil de MM. de Montaiglon et Raynaud, on a chance d’en rencontrer d’emblée, et de suffisamment affligeants.

De là aussi les mérites de ce style, parfois charmants : élégante brièveté, vérité, naturel.

La brièveté est une qualité trop rare dans les œuvres du moyen âge pour que nous ne sachions pas gré à nos conteurs de l’avoir recherchée. Il suffit de s’être quelquefois perdu dans les châteaux enchantés aux salles sans nombre des romans de