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LES FABLIAUX

les portent dans leurs vifs dialogues, dans la peinture des personnages, dont ils excellent à saisir l’attitude, le geste. Voici une jeune veuve qui, ayant pleuré, non sans sincérité, son mari, sent lever en elle un regain de coquetterie et cherche de nouvelles épousailles : « comme un autour mué

Qui se va par l’air embatant,
Se va la dame deportant,
Mostrant son cors de rue en rue… »

(La Veuve.)

Voici une jeune femme à son miroir. Chérubin entre, qui porte un message de son maître. La dame est précisément occupée à lier sa guimpe, ce qui était jadis l’une des opérations les plus délicates de la toilette féminine. Alors, par un joli mouvement de coquetterie, elle tend son miroir au petit écuyer :

« Biau sire, dit ele, ça vien,
Pren cest mireor, si me tien,
Ça devant moi, que je le voie,
Qu’afublée bellement soie. »
Cil le prent, si s’agenoilla ;
Bele la vit, si l’esgarda
Que plus l’esgarde, plus s’esprist ;
La biauté de li le sorprist
Que plus près de li s’aproucha ;
La dame prist, si l’enbraça :
« Fui, fol, dit ele, fui de ci !
Es-tu desvez ? — Dame, merci !
Soufrez un poi ! » Oz du musart
Que plus li deffent et plus art !

(L’Épervier.)

Parfois le poète s’arrête à décrire son héroïne, en traits un peu banals, un peu trop connus, gracieux pourtant. C’est tantôt Gilles, la nièce du chapelain, toute « menue, avenante et graillette » (le Prêtre et le Chevalier) ; c’est tantôt un gentil portrait de fillette qui cueille, comme dans nos chansons populaires, du cresson à la fontaine :

Une pucele qui ert belle
Un jour portoit en ses bras belle
Et cresson cuilli en fontaine ;
Moilliée en fu de ci en l’aine
Par mi la chemise de lin…

(Le Prêtre et Alison.)

Comme ces portraits ne sont jamais embellis plus que de raison, de même les caricatures ne sont point trop chargées. Sous l’exagération nécessaire et voulue des traits, on retrouve