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SUR VILLE-HARDOUIN

dant les chefs ne se découragèrent pas : disposés à tous les sacrifices, ils donnèrent leur vaisselle et ce qu’ils avoient d’argent. Ce secours étant insuffisant, le vieux doge, aussi dévoué à sa patrie qu’à la religion, ne voulut pas qu’un tel contre-temps fît manquer l’entreprise, et conçut le projet d’obtenir des Croisés un service qui seroit plus utile à la république que l’argent dont ils se trouvoient redevables. Béla III, roi de Hongrie, avoit enlevé depuis peu aux Vénitiens la ville de Zara en Dalmatie, qui leur étoit nécessaire pour le commerce de l’Orient ; jusqu’alors ils n’avoient pu la reprendre, et ils en regrettoient vivement la perte. Le doge proposa aux Français de se joindre aux troupes vénitiennes pour la recouvrer, leur promettant que cette expédition n’occasionneroit qu’un retard de quelques jours, et leur représentant qu’on n’en auroit ensuite que plus d’ardeur pour la croisade. Les seigneurs français, qui ne désiroient que l’occasion de se distinguer par de hauts faits d’armes, y consentirent volontiers. Le suffrage de l’armée ne fut pas aussi unanime ; mais la majorité se rangea du côté des chefs, et les murmures furent pour cette fois étouffés.

Le lendemain le peuple s’assembla de nouveau dans l’église Saint-Marc. Le doge, convaincu que les intérêts de sa patrie se trouvoient intimement liés à ceux de la religion, résolut alors de se sacrifier entièrement pour l’une et pour l’autre. On vit ce vieillard descendre du trône ducal, monter au pupitre, prendre la croix, exhorter ses concitoyens à le suivre, et dire un dernier adieu à sa patrie. Jamais scène ne fut plus touchante ; les sanglots éclatèrent de toutes parts, et