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ANCIENS MÉMOIRES

et luy tendit la main, pour luy faire voir qu’il avoit pour luy des considerations touttes particulieres, luy disant qu’il étoit le fort bien venu, qu’il auroit toûjours pour luy des égards distinguez, et qu’il le devoit aimer luy seul plus que tous ses autres sujets. Bertrand, qui ne se payoit gueres de vent ny de fumée, ne put

    « Bien veignez vous mon amy, que j’aime en bonne foy, et à qui ne doy faillir en mon vivant de riens quelconques, ainçois vous doy honnourer et cherir comme moy. Sire, ce dist Bertran, je m’en apperçoy mauvaisement. Car vous avez osté tout mon estât, et maudit soit l’argent qui se tient ainsi coy. Et ne vault riens le conseil, parquoy ve le tenez ainsi serré. Car trop mieulx le vault départir à ceulx qui guerroyent voz ennemiz… » Quant le Roy oy Bertran parler ainsi, si lui dist, doubcement : « Or ne vous veuillez courroucer assez aurons argent. Et n’aiez desplaisance, se nous vous avons mandé. Car il nous plaisoit de vous veoir, et vous dire nostre plairesir, ne le nostre argent n’est point si enfermé, que vous ne puissiez bien par tout bouter la main. Mais, beau sire, nous lesserons le temps renouveller. Sire, dist Bertran, qui moult estoit courcié, dequoy vivront, pour passer la saison, les gens d’armes que j’ay laissiez derriere pour la frontiere tenir, et garder le pays, si n’ont argent ? Il convendra fuster ledit pays pour eulx, et paier sur les pouvres gens Bertran, dist le Roy, je ne le puis amender. Je ne suis que un seul homme, si ne puis pas estriver contre tous ceulx de mon conseil. Mais dedens trois jours feray deffermer un coffre, où vous pourrez trouver vingt mille frans… Hé ! Dieu, ce dist Bertran, ce n’est que un desjuner Que ne faites vous faillir ces grans sommes de deniers que l’en cueille par le royaume sur marchans et pouvres gens, tant d’impositions, treziesme et quatorziesme, comme foüages et gabelles, le dixirsme ne vient pas à vostre prouffit. Et puis que ainsi est, faites tout abatre, afin que le peuple se resjoysse : et faites venir avant ces chapperons fourrez, c’est assavoir prelaz et advocaz qui mengent les gens. A telz gens doit-on faire ouvrir leurs coffres, et non pas à pouvres gens, qui ne font que languir. Car on doit querir l’argent. Mais je voy aujourduy advenir le contraire : car celui qui n’a que un pou, on lui veult toulir : et celuy qui a du pain, où lui en offre. Tant divisa Bertran, où qu’il fust pris, qu’il envoya à ses soudoyers. (Ménard, p. 456-458.)