Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 46.djvu/232

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chauffer. Cet exempt s’appeloit Croisat ; il étoit Gascon, et il avoit été, au moins à ce que l’on disoit, valet de chambre de M. Servien. Je ne crois pas qu’on eût pu trouver encore sous le ciel un autre homme fait comme celui-là. Il me vola mon linge, mes habits, mes souliers ; et j’étois quelquefois obligé de demeurer huit ou dix jours dans le lit, faute d’avoir de quoi m’habiller. Je ne crus pas que l’on me pût faire un traitement pareil sans un ordre supérieur, et sans un dessein formé de me faire mourir de chagrin. Je m’armai contre ce dessein, et je me résolus au moins de ne point mourir de cette sorte de mort. Je me divertis au commencement à faire la vie de mon exempt, qui, sans exagération, étoit aussi fripon que Lazarille de Tormes et que Buscon. Enfin je l’accoutumai à ne me plus tourmenter, à force de lui faire connoître que je ne me tourmentois de rien. Je ne lui témoignai jamais aucun chagrin, je ne me plaignis de quoi que ce soit ; et je ne lui laissai pas seulement voir que je m’aperçusse de ce qu’il disoit pour me fâcher, quoiqu’il ne proférât pas un mot qui ne fût à cette intention. Il fit travailler à un petit jardin de deux ou trois toises qui étoit dans la cour du donjon ; et comme je lui demandois ce qu’il en prétendoit faire, il me répondit que son dessein étoit d’y planter des asperges : vous remarquerez qu’elles ne viennent qu’au bout de trois ans. Voilà une de ses plus grandes douceurs : il en avoit tous les jours une vingtaine de cette force. Je les avalois toutes avec douceur, et cette douceur l’effarouchoit, parce qu’il disoit que je me moquois de lui.

Les instances du chapitre et des curés de Paris, qui firent pour moi tout ce qui étoit en leur pouvoir, quoi