Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 46.djvu/332

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au milieu. Il y reçut l’adoration du sacré collége avec beaucoup plus de modestie que de grandeur, avec beaucoup plus d’abattement que de joie ; et lorsque je m’approchai à mon tour pour lui baiser les pieds, il me dit en m’embrassant, si haut que les ambassadeurs d’Espagne et de Venise, et le connétable Colonne l’entendirent : Signor cardinal de Retz, ecce opus manuum tuarum. Vous pouvez juger de l’effet que fit cette parole. Les ambassadeurs la dirent à ceux qui étoient auprès d’eux ; elle se répandit en moins de rien dans toute l’église. Morangis, frère de Barillon, me la redit une heure après, en me rencontrant comme je sortois ; et je retournai chez moi accompagné de plus de six-vingts carrosses, qui étoient pleins de gens très-persuadés que j’allois gouverner le pontificat. Je me souviens que Chatillon me dit à l’oreille : « Je suis résolu de compter les carrosses pour en rendre ce soir un compte exact à M. de Lyonne. Il ne faut pas épargner cette joie au cocu. »

Je vous ai promis quelques épisodes : je m’en vais vous tenir ma parole. Vous avez déjà vu que la faction de France avoit eu ordre du Roi non-seulement de ne pas communiquer avec moi, mais même de ne me pas saluer. M. le cardinal d’Est évita avec soin de ne me pas rencontrer. Quand il ne le put, il tourna la tête de l’autre côté, où il fit semblant de ramasser son mouchoir, ou il parla à quelqu’un. Enfin comme il a toujours affecté de paroître ecclésiastique, il affecta aussi, à mon opinion, de témoigner en cette occasion qu’une conduite qui blessoit même l’apparence de la charité chrétienne lui faisoit de la peine. Antoine me saluoit toujours fort honnêtement quand personne ne le