Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 46.djvu/492

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tenir qu’un particulier ne peut songer avec raison de changer lui seul une nécessité qui a pris de si fortes racines ; et que tout ce qu’un homme généreux peut faire en cette rencontre est d’imiter les sages mariniers qui, au lieu de s’opiniâtrer contre les vents pour prendre port, se rejettent à la mer, et se laissent emporter au gré de la vague et de l’orage. Cédez donc au temps lorsque la fortune le veut ; ne cherchez point de remèdes où l’on n’en peut trouver que de ceux qui sont pires que le mal ; attendez-les de la Providence, qui dispose comme il lui plaît du changement des États, et qui ne manquera jamais à cette république. Jouissez paisiblement du repos et des avantages que votre naissance vous donne, ou prenez des emplois légitimes pour exercer votre valeur dont les guerres étrangères vous fourniront assez d’occasions. N’exposez point aux suites d’une révolte criminelle cette grande fortune que vous possédez, et qui contenteroit toute autre ambition que la vôtre ; et songez que si Jeannetin a de la haine ou de l’envie contre votre mérite, vous ne sauriez l’obliger davantage qu’en suivant les pensées que vous avez maintenant, puisque vous lui donnerez lieu de couvrir son ressentiment particulier sous le prétexte du bien général, et de vous perdre avec l’autorité de la république ; et qu’enfin vous travailleriez vous-même à élever les trophées de sa gloire et de sa grandeur sur vos propres ruines. Ces fortunes qui s’élèvent sans peine à des degrés éminens tombent presque toujours d’elles-mêmes parce que ceux qui ont l’ambition et les qualités propres pour y monter n’ont pas d’ordinaire celles qu’il faut avoir pour s’y soutenir ; et lorsque quelqu’un de ceux que le bonheur a portés à ces élévations précipitées atteint le comble sans broncher, il faut qu’il ait trouvé, dès le commencement, beaucoup de difficultés qui l’aient formé peu à peu à se soutenir sur un endroit si glissant. César avoit au souverain degré toutes les qualités nécessaires à un grand prince : et néanmoins il est certain que ni sa courtoisie ni sa prudence, ni son courage ni son éloquence ni sa libéralité ne l’eussent pas élevé à l’empire du monde, s’il n’eût trouvé de grandes résistances dans la république romaine. Le prétexte que lui fournit la persécution de