Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 1.djvu/260

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Qu’est-ce que l’estime, sinon un sentiment que nous inspire ce qui est utile à la société ? Mais quoique cette utilité soit nécessairement relative à tous les membres de la société, elle est trop habituelle et trop peu directe pour être vivement sentie. Ainsi notre estime n’est presque qu’un jugement que nous portons, et non pas une affection qui nous échauffe, telle que l’amitié que nous inspirent ceux qui nous sont personnellement utiles ; et j’entends par utilité personnelle, non-seulement des services, des bienfaits matériels, mais encore le plaisir et tout ce qui peut nous affecter agréablement, quoiqu’il puisse dans la suite nous être réellement nuisible. L’utilité ainsi entendue doit, comme on juge bien, s’appliquer même à l’amour, le plus vif de tous les sentimens, parce qu’il a pour objet ce que nous regardons comme le souverain bien, dans le temps que nous en sommes affectés.

On m’objectera peut-être que si l’amour et l’estime ont la même source, et que, suivant mon principe, ils ne diffèrent que par les degrés, l’amour et le mépris ne devroient jamais se réunir sur le même objet ; ce qui, dira-t-on, n’est pas sans exemple. On ne fait pas ordinairement la même objection sur l’amitié ; on suppose qu’un honnête homme qui est l’ami d’un homme méprisable, est dans l’ignorance à son égard, et non