Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 8.djvu/35

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demeurer dans Madrid, dans la crainte des assassins et des suites qu’une telle affaire pouvoit avoir entre les nations, et m’assura qu’il alloit faire changer mon régiment de quartier. Je n’eus pas de peine à me tenir caché : l’état de mon âme m’auroit rendu toute compagnie insupportable. On ignora absolument le lieu de ma retraite ; mon régiment fut relevé ; et, la campagne s’approchant, je fus bientôt en état de le joindre. Nos opérations furent heureuses, et je fus envoyé en quartier d’été dans un gros bourg, auprès duquel il y avoit une abbaye de filles.

Suivant les ordres que nous avions de protéger tous les couvens, j’y avois établi une garde. J’allois souvent me promener le long des murs du jardin de cette abbaye : il n’y avoit que la solitude qui convînt à la situation de mon cœur. Un jour, en passant sous les fenêtres d’un corps de logis de cette maison, j’entendis ouvrir une jalousie, et je vis tomber à mes pieds une lettre que je ramassai : je levai la tête ; mais la jalousie, déjà refermée, ne me laissa rien voir. Je pris le billet, je vis avec surprise qu’il m’étoit adressé : je l’ouvris, l’on y donnoit des éloges à la tristesse dont je paroissois pénétré ; l’écriture m’étoit inconnue, et je ne pouvois pas me flatter qu’elle fût écrite de la part de la marquise que l’on m’avoit assuré être morte de ses blessures. Il y avoit