Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas seulement augmenté sa ferveur, mais s’était étendue. Depuis le commencement du xie siècle, elle avait rayonné sur le Danemark, sur la Sicile, sur la Norvège, jusque sur la lointaine Islande, et ces conquêtes nouvelles, auxquelles la papauté n’avait pris aucune part, c’était vers elle aussi qu’elles gravitaient. Jamais Rome n’avait possédé ni un domaine spirituel aussi vaste, ni une autorité aussi ferme. Sa rupture définitive avec l’Église grecque en 1054 venait de montrer quelle confiance elle avait désormais dans ses forces.

Comment aurait-elle pu supporter plus longtemps la protection simoniaque de l’empereur ? Comment continuer plus longtemps à le laisser disposer de la tiare au profit d’évêques allemands ; humilier plus longtemps au profit du souverain d’une seule nation son pouvoir universel ? La minorité de Henri IV permettait de secouer le joug. En 1059, Nicolas II, pour placer désormais la nomination des papes à l’abri de toute immixtion étrangère, la confiait au collège des cardinaux. D’un seul coup, il mettait fin ainsi et aux élections tumultueuses qui avaient causé le long déclin de la papauté, et à l’immixtion de l’empereur. La désignation du Vicaire du Christ ne devait plus appartenir qu’à l’Église, se recueillant dans la paix et la liberté. Une clause spéciale dans la bulle décidait, contrairement à la tradition constamment suivie, que ce grand acte ne devait plus nécessairement s’accomplir à Rome : les cardinaux étaient libres de s’assembler n’importe où s’ils ne se croyaient pas en sécurité dans la ville au moment du consistoire.

On peut faire dater de cette réforme le conflit entre la papauté et l’Empire. Il était désormais inévitable et Nicolas II ne se faisait aucune illusion sur l’avenir. Ce n’est pas le hasard qui a placé à la même année, où les cardinaux reçurent le droit d’élection, son traité d’alliance avec les Normands.

Les mesures prises en même temps par le pape contre le mariage des prêtres et la simonie fournissent la preuve qu’il pouvait compter sur l’appui des masses. Dans l’Italie du nord, le peuple se soulève contre les évêques impériaux qui résistaient aux ordres de Rome. Ce ne sont pas d’ailleurs exclusivement des motifs religieux qui provoquèrent les troubles de la pataria, c’est-à-dire de la canaille, comme les princes d’Église et leurs adhérents appelaient dédaigneusement leurs ennemis. Sous l’influence du commerce renaissant, une classe sociale nouvelle, la bourgeoisie, se formait dans les villes