Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/149

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lombardes et elle profita du motif que lui fournissait la piété, pour s’insurger contre les évêques dont l’administration ne tenait pas compte de ses besoins nouveaux.

Ce fut l’évêque de Lucques, le protecteur des patarias, qui, en 1061, succéda à Nicolas II sous le nom d’Alexandre II. La première élection faite par les cardinaux appelait ainsi, sur la chaire de Saint-Pierre, un anti-impérialiste déclaré. Henri IV n’était pas encore en mesure d’intervenir. Ses tuteurs en furent réduits à soutenir l’anti-pape Cadaloüs, que le parti féodal de Rome suscita contre Alexandre, et qui disparut presque aussitôt. Grégoire VII succéda à Alexandre en 1073, et enfin la guerre éclata.

Le nouveau pape avait été, depuis l’avènement de Nicolas II, l’inspirateur et le conseiller intime de ses précurseurs. En leur succédant, il était bien décidé à prendre, vis-à-vis de l’Empire, une attitude d’où sortirait la guerre ou la reconnaissance par le premier souverain de l’Occident, de la supériorité de Rome sur le pouvoir temporel. En 1075, il condamnait solennellement, sous peine d’excommunication, l’investiture par l’autorité laïque de toute fonction ecclésiastique.

Rien sans doute n’était plus conforme aux principes de l’Église, mais rien aussi n’était plus impossible à accorder par l’Empire. Depuis Othon Ier, et de plus en plus à mesure que les princes laïques se féodalisaient davantage, le pouvoir impérial reposait sur les évêques. De règne en règne, les monarques avaient accumulé les donations de terres autour de leurs sièges afin de les rendre toujours plus forts. Mais c’était évidemment à condition de les nommer eux-mêmes et de les investir de leur charge. En leur remettant la crosse et l’anneau, emblèmes de leurs fonctions, ils leur montraient qu’ils n’étaient évêques que par eux, que c’était d’eux qu’ils tenaient à la fois le gouvernement de leur diocèse et par cela même, la jouissance de leur principauté. Obéir au pape, en revenir aux prescriptions canoniques, permettre en conséquence aux chapitres de nommer les évêques, et devoir ensuite les investir de leurs fiefs laïques, c’eût été remettre en des mains inconnues, peut-être hostiles, cette force que l’Empire avait donnée aux prélats, non dans leur intérêt, mais dans le sien. Intimer l’ordre à l’empereur de renoncer à l’investiture, c’était lui intimer l’ordre de n’être plus rien, puisque désormais la base même de son pouvoir lui serait enlevée. Grégoire X n’a pu un instant se faire illusion sur ce point. Mais que lui importait le pouvoir de l’empereur ?