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comme une espèce de ruée des chrétiens en masse vers Jérusalem. Ce fut avant tout une expédition d’hommes d’armes, sans quoi elle n’aurait fait que fournir de la chair à massacre aux Turcs. Il en résulte encore qu’elle ne fut pas aussi nombreuse qu’on le croit. Tout au plus, quelques dizaines de milliers d’hommes, chiffre énorme relativement, mais qui n’a rien de commun avec ce qu’aurait fourni une espèce d’émigration en masse.

II. La prise de Jérusalem

L’expédition fut soigneusement préparée sous la direction du pape. Des propagandistes monacaux furent envoyés partout. Mais on ne négligea pas des moyens plus terrestres. Si grand que fût l’amour du Christ, c’était à des hommes que l’on avait à faire et on ne craignit pas, pour « les exciter », de s’adresser chez eux à des passions mystiques et autres. Les excitatoria qui furent alors répandus dans la chrétienté vantent pêle-mêle la quantité de reliques que renferme l’Asie Mineure, le charme et le luxe de ses mœurs, et la beauté de ses femmes. Des mesures furent prises en faveur de ceux qui partaient : leurs biens étaient sous la garde de l’Église, ils étaient sûrs de les retrouver au retour. Pour le plan de guerre, il ne devait pas être si difficile à faire, étant donné le grand nombre d’Occidentaux qui avaient fait le voyage de Jérusalem. La route, en l’absence de flotte suffisante, devait être la route de terre. Seuls les Normands d’Italie et les contingents du nord de l’Italie passèrent l’Adriatique pour débarquer à Durazzo et marcher de là sur Constantinople, où était le rendez-vous général. Il y avait trois armées : les Lotharingiens sous Godefroid de Bouillon qui prirent par l’Allemagne et la Hongrie ; les Français du nord, avec Robert de Normandie, frère de Guillaume II d’Angleterre, Étienne de Blois, Hugues de Vermandois, frère du roi de France, Philippe Ier, Robert de Flandre, qui descendirent par l’Italie où ils se joignirent aux Normands sous Bohémond de Tarente, fils de Robert Guiscard, et son neveu Tancrède ; enfin les Français du midi, sous Raimond de Toulouse accompagné du légat, l’évêque Adhémar du Puy, qui se dirigèrent par l’Italie du nord et la côte de l’Adriatique. Tous se réunirent à Constantinople où ils arrivèrent par groupes en 1096.

Des bandes enthousiastes soulevées à la voix de Pierre l’Ermite, sans chefs, sans discipline, étaient parties déjà, au début de 1096,