Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/199

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C’est à la fin du xie siècle, c’est-à-dire à l’époque où l’apparition des bourgeoisies achève la constitution sociale de l’Europe, que la royauté commence à jeter les bases des premiers États dignes de ce nom. Ici encore, le progrès a commencé par l’Occident, ou pour parler plus exactement, par la France. De même que la féodalité, la chevalerie et la réforme clunisienne se sont répandues de France sur les autres peuples ; c’est en France aussi qu’agissent, ou c’est de France que viennent, les forces qui vont créer les États nouveaux. C’est un vassal du roi de France qui est le fondateur de l’État anglais et c’est le royaume de France qui est le premier en date des États continentaux. Le vassal d’ailleurs a précédé le suzerain, et il importe donc de commencer par l’Angleterre l’esquisse de l’œuvre politique de la royauté.

De toutes les provinces romaines, la Bretagne avait été la seule, à l’époque des invasions, dont les habitants avaient refusé d’accepter la domination des barbares. Après une lutte violente, ils furent refoulés à l’ouest, dans le pays de Galles et en Cornouailles, où leur idiome celtique s’est conservé jusqu’à nos jours, tandis que d’autres émigraient en Armorique qui prit depuis lors le nom de Bretagne. Les Anglo-Saxons, se trouvant seuls dans leur nouvelle patrie, y purent donc conserver intactes leurs institutions nationales. Les sept petits royaumes qu’ils y fondèrent, ne présentent pas la moindre trace de cette romanisation qui, de l’autre côté du canal, s’imposa si complètement aux rois germaniques. Le peu d’étendue de ces royaumes les appropriait d’ailleurs parfaitement à des institutions nées au sein de tribus, et qui n’auraient pu s’adapter à un grand État. L’État germanique, dont la conquête franque arrêta l’évolution en Allemagne, continua donc à se développer librement en Angleterre. L’assemblée du peuple, le witenagemot, se conserva à côté du roi, et des magistrats populaires, les ealderman, subsistèrent à côté des fonctionnaires royaux, les sherifs. La christianisation du pays, à la fin du VIe siècle, ne changea rien d’essentiel à cet état de choses. Sans doute l’Église importa sa langue, le latin, dans sa nouvelle conquête, mais le développement national était trop étranger aux traditions romaines et la situation géographique rendait trop difficile le contact permanent avec l’Église franque, pour que cette langue y pût devenir, comme sur le continent, la langue de l’État. L’Église latine se conduisit en Angleterre comme l’Église grecque, pour les mêmes motifs, devait se conduire chez les Slaves au Xe siècle. Elle accepta la langue de