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et des Français, sur lesquels il pût compter. Il y réussit. Clément IV, provençal d’origine et qui lui était tout dévoué, se prêta à ses vues et laissa une véritable faction angevine se former parmi les cardinaux. La mort de Clément (1268) fut le signal d’une lutte acharnée entre ces « angevins » et leurs adversaires. Ce n’est qu’après trois ans de conflit et d’intrigues qu’ils se résignèrent à l’élection de Grégoire X (1271). Rien d’étonnant si Grégoire voulut mettre fin à un état de choses aussi préjudiciable au bon gouvernement de l’Église. C’est à lui que remonte l’institution du conclave tel à peu près qu’il existe encore de nos jours. Il décida qu’à la mort d’un pape, les cardinaux devaient se réunir dans un local fermé et sans communication avec le dehors : défense leur était faite, sous peine d’excommunication, d’en sortir avant d’avoir achevé l’élection. Ces précautions n’empêchèrent pas Charles de Valois, en 1280, de violenter le conclave et de lui faire élire le Français Martin IV, qui soutint passionnément tous ses projets. Charles mort, le parti angevin, s’il fut moins puissant, n’en resta pas moins actif. Le conclave n’exista que pour la forme. Nicolas IV ne fut élu qu’après environ un an de démêlés entre les cardinaux (1288), et quand il mourut en 1292, les querelles recommencèrent de plus belle, si bien qu’après deux ans de stérile agitation, on résolut pour en finir, et dans l’impossibilité où l’on était de s’imposer les uns aux autres un candidat, d’élire un vieil ermite, étranger aux choses du monde, que le peuple considérait comme un saint et qui fut l’innocent jouet d’intrigues qui l’eussent révolté s’il les eût comprises : Célestin V : il savait à peine le latin, et quand il eût passé de la solitude de ses montagnes au palais du Latran, abasourdi et désorienté, il ne s’aperçut pas qu’il ne servait que d’instrument au roi de Naples, Charles II d’Anjou, qui, pour mieux disposer de lui, l’installa dans sa capitale. Il n’eut bientôt plus qu’une pensée, celle d’abdiquer. Les cardinaux ne demandaient qu’à le prendre au mot. Il leur avait donné le temps de s’accorder. Le 17 décembre 1294, ils élisaient à la place du pauvre vieillard, un noble romain, Benoît Gaetani, qui prit le nom de Boniface VIII.

Avec lui apparaît sur le trône de Saint Pierre le dernier pape de la lignée des Innocent III et des Innocent IV. Son but évident a été de rendre au Saint-Siège l’éclat, le prestige, l’autorité morale et le magistère politique universel dont il avait joui dans leur temps. La pompe dont il s’entoure dans les cérémonies publiques, les deux glaives qu’il fait porter devant lui, la couronne dont il orne la tiare