Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/290

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pontificale, sont autant de moyens d’affirmer la primauté du successeur de Saint Pierre dans l’Église, de rappeler que la puissance temporelle lui est subordonnée puisqu’aussi bien, faisant partie de l’Église, elle ne peut prétendre à secouer l’autorité du chef de celle-ci. Il n’y a là rien de neuf, rien qui n’ait été déjà indiqué par Nicolas Ier et Grégoire VII, nettement formulé par Innocent III, et logiquement démontré par les scolastiques. Les fameuses bulles adressées à Philippe le Bel ne contiennent pas autre chose que la doctrine admise par tous les théologiens sur les rapports entre les deux pouvoirs. Boniface n’a fait que recueillir et répéter les principes de ses grands prédécesseurs, sans y rien ajouter.

D’où vient donc la tempête qu’ils ont soulevée et la catastrophe à laquelle ils l’ont conduite ? Précisément de leur immutabilité. Ils ne s’accordent plus avec les réalités politiques ; les temps ont changé, et ce que le pape, conformément à la tradition, promulgue comme la vérité même, va soulever l’opposition des nations les plus avancées de l’Europe, rois et peuples d’accord pour y voir une insupportable atteinte à leurs droits et à leurs intérêts les plus légitimes.

Qu’on y prenne garde, en effet : ce n’est pas seulement avec la France que Boniface VIII s’est trouvé aux prises. Édouard Ier ne s’est pas montré à son égard de meilleure composition que Philippe le Bel, et le Parlement d’Angleterre n’a pas moins énergiquement repoussé ses prétentions que les États généraux de Paris. Si les événements ont donné au conflit avec la France la portée d’une rupture complète, il n’en est pas moins vrai que la politique pontificale a soulevé en même temps contre elle, et pour les mêmes motifs, la résistance des deux pays qui, dès la fin du xiiie siècle, possèdent une véritable constitution d’État.

Jusqu’alors, le pape n’avait eu à combattre qu’un seul ennemi : l’Empire, ou plutôt l’empereur, et la question débattue entre eux, il faut le redire encore, ne se renfermait pas dans les limites d’une nation ; elle embrassait la chrétienté tout entière. Sans doute, en sapant le pouvoir impérial, le pape sapait en même temps le pouvoir du roi d’Allemagne. Mais loin que l’opinion allemande s’en irritât, elle voyait au contraire avec plaisir l’affaiblissement du pouvoir monarchique, et les princes qui la représentaient, au lieu de résister aux entreprises de Rome lui fournirent au contraire un appui qui facilita leur succès. Avec Frédéric II, il est vrai, les