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laïque. Elle n’a rien de commun avec l’ancienne noblesse dans laquelle elle s’installe. Pourquoi y est-elle entrée ? Parce qu’il n’y avait pas d’autre place pour elle dans la société d’alors. Elle ne pouvait, venant à la cour, rester dans le sein de la bourgeoisie qui aurait continué à avoir barre sur elle et à la détacher du prince. Alors ? Entrer dans le clergé, quelques-uns l’ont fait et y ont trouvé des évêchés et des chapeaux de cardinaux pour récompense. Mais pour les autres, il n’y avait que la noblesse, dans cette société où la roture ne comprenait que les paysans. Ainsi, par un processus nécessaire mais non naturel, le haut personnel gouvernemental est venu s’adjoindre comme appoint à une classe sociale d’origine purement militaire. Ses habitudes sociales, ses intérêts se sont confondus avec les siens. Et de plus la noblesse a pris une situation plus large. Elle a renfermé désormais toute l’élite. On n’a été un homme convenable qu’en lui appartenant. Les conséquences s’en marquent peu encore au xive siècle et au commencement du xve siècle. Elles devaient être incalculables plus tard, et bien des États de nos jours n’en sont pas encore affranchis. La Renaissance a été impuissante à en désagréger le bloc. Il a fallu pour cela les démocraties modernes. Si profonde que soit dans l’État l’action de la bourgeoisie, c’est, pendant tout l’ancien régime, la noblesse qui conserve socialement le premier rang, et tout ce qui sort de la bourgeoisie cherche à y entrer.


II. — Le mouvement religieux


Le xiiie siècle a vu l’Église catholique atteindre son apogée. Elle fournit le spectacle grandiose d’un gouvernement pourvu de tous ses organes, si fort que non seulement il résiste victorieusement aux attaques dirigées contre lui, mais que chacune d’elles le laisse plus puissant. Par sa forme, ce gouvernement est une monarchie qui rappelle de très près l’Empire romain au milieu duquel il est né et dont il a conservé la capitale, la langue et, avec les modifications nécessaires, le droit et les traditions administratives. Et, comme dans l’Empire romain encore, son chef, le pape, est élevé au-dessus du reste des hommes, personnage sacré, dont les ordres sont des lois et qui ne peut être jugé par personne. Ce n’est point là cependant ce qui donne à la papauté son extraordinaire vitalité. Elle lui vient de la société religieuse dont l’adhésion enthousiaste lui est acquise, qui vit en communion avec elle par la foi et du sein