Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/324

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de laquelle elle reçoit continuellement un afflux de forces fraîches, source perpétuelle de rajeunissement. Constamment la piété fait surgir du sein des masses de nouveaux ordres monastiques, adoptés aux besoins de chaque époque, qui, soumis à sa direction, lui fournissent l’armée spirituelle dont elle a besoin pour discipliner ou pour défendre l’Église : Clunisiens au xie siècle, Cisterciens et Prémontrés au xiie, Franciscains et Dominicains au xiiie. Contre l’hérésie, le pape a sa police, l’inquisition, et il suffit qu’il appelle les peuples à son aide pour qu’aussitôt des milliers de défenseurs de l’orthodoxie se ruent au massacre des infidèles. Enfin, tout l’enseignement dépend de lui ; la science des universités n’obéit pas moins à son impulsion que le zèle des religieux.

Mais il est visible que, vers le milieu du xiiie siècle, il a atteint le maximum de sa puissance. Elle s’arrête de croître et, bientôt, elle décline. La cause principale de ce déclin doit être attribuée, on l’a vu plus haut, à l’attitude prise par la société laïque vis-à-vis de l’Église. D’une part, les États nationaux, par besoin d’indépendance, secouent la tutelle de la papauté ; de l’autre, les peuples plus actifs, plus laborieux, plus absorbés par le souci de leurs intérêts économiques, en devenant inaccessibles à l’idéalisme naïf de la Croisade, commencent à se soustraire eux aussi à la direction exclusive de la religion. Évidemment l’Église cesse d’être, pour ses fidèles, la seule maîtresse ou, pour mieux dire, l’emprise qu’elle exerçait sur les âmes cesse d’être sans rival. Son autorité n’est plus toute puissante parce qu’elle ne s’impose plus spontanément à toute la vie politique et à toute la vie sociale. Il s’opère comme un glissement des âmes qui, sans le vouloir et sans s’en apercevoir, s’éloignent d’elle. Et elle ne s’en aperçoit pas non plus. Si sa force morale et son influence politique diminuent, elle n’abandonne aucune de ses prétentions, ni aucun de ses espoirs. Même après la catastrophe de Boniface VIII, même après l’exode du pape à Avignon, même pendant la lutte des papes avec les conciles elle reste obstinément fidèle à l’idée de la Croisade et continue à revendiquer la suprématie sur les peuples et sur les rois. Elle renouvelle même la vieille querelle avec l’Empire, et Jean XXII excommunie Louis de Bavière (1324) comme Innocent IV avait excommunié Frédéric II, mais quelle différence entre cette réplique et le drame grandiose du xiiie siècle. Les clameurs des deux partis ont retenti au milieu de l’indifférence de l’Europe. Ce sont des moines, des juristes et des théologiens qui s’agitent ; les États se désintéressent.