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Les Frères mineurs spirituels, dont le pape a condamné la doctrine sur la pauvreté évangélique, se jettent du côté de Louis de Bavière qui subit par nécessité ces étranges auxiliaires et, tout bourrelé de scrupules, les laisse le compromettre dans les accusations d’hérésies qu’ils lancent contre Jean XXII. Cependant, au milieu de la mêlée des pamphlets, la toute puissance pontificale, âprement discutée a provoqué des paroles qui ne doivent pas toutes s’oublier. Le Defensor Pacis de Marcile de Padoue, bientôt traduit en français et en italien, expose des idées dont on peut surprendre les premières traces dans l’entourage de Frédéric II et de Philippe le Bel, mais qui reçoivent ici leur pleine portée et étonnent par leur hardiesse. Pour lui, les prétentions de la papauté ne sont qu’une usurpation intolérable, aussi incompatible avec l’interprétation des textes sacrés et les usages de l’Église primitive qu’elles sont funestes pour la paix du monde. Le pape n’est qu’un évêque comme un autre. Sa mission consiste tout entière dans la prédication de la foi et l’administration des sacrements. Toute immixtion dans le domaine temporel, toute juridiction sur les laïques doit lui être refusée. Et élargissant la question, Marcile définit l’Église : la communauté de tous ceux qui croient en Jésus-Christ. Avant Wiclef et avant Hus, il déclare que le laïque lui appartient comme le prêtre et revendique catégoriquement la soumission des clercs au pouvoir séculier dans toutes les relations temporelles. Sans doute, il ne faut pas exagérer l’influence de ces déclarations. On ne voit pas qu’elles aient exercé aucune action pratique. Elles n’ont encore que l’importance d’un symptôme et, en matière religieuse comme en matière sociale, les contemporains ne remarquent point, en général, les symptômes qui précèdent les crises.

Jusqu’à quel point les tendances religieuses contemporaines ont-elles pu agir sur Marcile de Padoue ? Il y a en tous cas entre le mysticisme de son temps et sa conception de l’Église renfermant les laïques comme les clercs, une concordance qu’il faut attribuer sans doute à cette mystérieuse harmonie qui, à la même époque, rattache les unes aux autres les manifestations diverses de la pensée. Dans ce qu’elle a de spontané et de plus profond, la piété du xive siècle fut essentiellement mystique. L’Église ne lui suffit plus pour arriver à Dieu. Elle s’élance directement vers lui, elle veut le contempler face à face dans l’intimité de la conscience, sans l’intermédiaire du prêtre. Et, nouveauté singulièrement caractéristique, ce n’est plus dans la langue de l’Église qu’elle s’exprime.