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à Crécy et à Poitiers avaient dissipé la crainte qu’elle leur inspirait. Ils attribuaient leur détresse à la lâcheté. Ils sentaient confusément que ses privilèges ne se justifiaient que par son rôle militaire, et elle venait de se montrer incapable de le remplir. Le gentilhomme leur apparut tout à coup comme l’ennemi du peuple. Des bandes armées de bâtons ferrés se mirent à parcourir le pays et à attaquer les châteaux. Leurs premiers succès les enhardirent. Bientôt tous les paysans furent debout. Nul plan d’ensemble d’ailleurs dans cette révolte, nuls chefs reconnus, nulles revendications précises. C’est un sursaut de désespoir, une explosion de rage. Effrayée, la bourgeoisie, à l’abri de ses murailles, brave le mouvement sans y prendre part, se réservant sans doute d’en profiter s’il réussit. Mais comment aurait-il pu réussir ? Les lourds chevaliers qu’avaient pu enfoncer les archers anglais, devaient avoir raison de ces « villains, noirs et petits et mal armés » (Froissart, V, 105), qui tuaient leurs enfants, violaient leurs femmes et mettaient le feu à leurs manoirs. La disproportion était la même qu’entre des grévistes et des troupes régulières. Après le premier moment de désarroi, la noblesse se mit en campagne, et ce fut un massacre. Les « Jacques » décimés, rentrèrent dans leurs villages convaincus de leur impuissance. Il ne devait plus y avoir de soulèvement rural en France avant la grande Révolution !

Cette secousse rejeta la noblesse du côté du dauphin et rompit les liens très faibles qui, ça et là, rattachaient quelques-uns de ses membres au parti bourgeois des réformes. Les ennemis de Marcel s’enhardirent. Un complot fut tramé contre lui et, le 31 juillet 1358, il était assassiné, comme quinze ans plus tôt Jacques van Artevelde, avec lequel il présente par sa politique une ressemblance frappante. Sa mort ne mit pas fin à l’assemblée des États généraux. Le dauphin ne pouvait se passer de leur concours dans l’état d’épuisement où l’on se trouvait. Édouard III, en 1359-1360, venait assiéger Reims et s’avançait sans rencontrer de résistance jusqu’en Bourgogne. Il était indispensable de conclure la paix. Elle fut signée à Brétigny (près de Chartres) le 9 mai 1360. Édouard recevait la Gascogne, la Guyenne, le Poitou, Calais et le comté de Guines en toute souveraineté, plus trois millions d’or, moyennant quoi il renonçait à ses prétentions sur le reste de la France. L’Angleterre redevenait donc, au détriment de la France, une puissance continentale. On se retrouvait dans une situation qui rappelait singulièrement l’époque des premiers Plantagenêts. L’étendue du