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royaume rétrogradait au point où elle se trouvait à peu près au commencement du règne de Philippe Auguste.

Cette simple constatation suffit à montrer que les résultats de la Paix de Brétigny étaient intenables. L’État français n’était pas comme les possessions territoriales des maisons de Bavière, de Luxembourg et d’Autriche, une simple juxtaposition de pays et de peuples que des combinaisons dynastiques aggloméraient aussi facilement qu’elles les défaisaient. Il reposait aussi solidement sur l’unité géographique que sur celle de la nationalité et des intérêts. Arraché par les rois au morcellement féodal dès que la constitution économique agraire sur laquelle celui-ci était fondé avait disparu, il s’était de règne en règne groupé autour d’eux et l’action royale n’avait été si prompte et si féconde que parce qu’elle répondait à la nature des choses. Les annexions qu’il avait fallu consentir à Édouard III n’étaient évidemment qu’un sacrifice passager. Il était aussi impossible que l’Angleterre pût conserver ses nouvelles provinces françaises, qu’il l’eût été à la France de s’approprier le comté de Kent. La Paix de Brétigny n’était évidemment qu’une trêve. Quel espoir pouvait-il exister que la France admit comme durable une situation qui était pour elle une humiliation et une menace permanente ? Et comment l’Angleterre pourrait-elle conserver, malgré le vœu des populations, des conquêtes aussi étendues que son propre territoire ?

Charles V (1364-1380) qui succéda à son père Jean II en 1364, ne pouvait songer à rompre la paix à peine conclue. Le royaume était épuisé d’impôts et plus que jamais rançonné par les compagnies de mercenaires qui y vivaient sur l’habitant. Le roi réussit très habilement à en débarrasser ses sujets tout en les employant contre l’Angleterre. Henri de Transtamarre qui combattait en Castille Pierre le Cruel, allié d’Édouard III, avait fait appel à la France. Duguesclin reçut l’ordre de marcher à son secours à la tête des compagnies. Pierre le Cruel fut vaincu (1369) et un traité d’alliance conclu entre Charles V et Henri de Transtamarre, ennemi suscité au flan des possessions anglaises d’Aquitaine. Au nord, la diplomatie royale remportait en même temps un autre succès. Le comte de Flandre, Louis de Maele, fils de Louis de Nevers tué à Crécy, avait rompu avec la politique de son père et adopté une neutralité ambiguë qui, forçant à la fois la France et l’Angleterre à le ménager, lui avait procuré une situation d’autant plus avantageuse que n’ayant pas de descendant mâle, il tenait les deux