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times du capitalisme moderne, et les uns comme les autres ont dû attendre jusqu’au xixe siècle l’heure de l’affranchissement. C’est là un fait qu’il ne faut jamais perdre de vue en étudiant l’histoire moderne de l’Allemagne et de l’Autriche. L’esclavage du paysan sous le noble y explique bien des choses.

L’expansion du capitalisme et le développement commercial et industriel ont été le point de départ d’un accroissement général de population analogue à celui qui a caractérisé le xiie et le xiiie siècle. Il le faut attribuer et au champ nouveau que l’industrie ouvrit au travail et aux progrès du commerce qui firent disparaître ces crises alimentaires dont le xive siècle encore avait si cruellement souffert. Il y eut encore des disettes ; il n’y eut plus de famines. Il est malheureusement impossible d’évaluer avec quelque précision le chiffre des habitants de l’Europe du xvie siècle. Il semble que l’on puisse le porter avec assez de vraisemblance à quarante habitants par kilomètre carré pour les deux régions les plus peuplées d’alors : l’Italie et les Pays-Bas. La France, vers 1550, semble avoir compté 18.000.000 d’âmes. A la même date, la métropole commerciale de l’Occident, Anvers, arrivée à son apogée, ne dépassait pas le chiffre de 100.000 habitants.

Quant à sa composition sociale, cette population offre des contrastes beaucoup plus accentués que celle du Moyen Age. L’ensemble de la fortune s’est accru, mais son accroissement s’est réparti d’une manière très inégale. Il ne profite guère qu’aux grands propriétaires fonciers, noblesse et Église, aux marchands en gros et aux manufacturiers. Cette classe moyenne composée de petits producteurs indépendants qui s’était si largement répandue au xiiie siècle, et dont les agitations donnent au xive siècle un caractère si turbulent, est en régression évidente. Dans les villes, une législation protectionniste et surannée lui permet de se maintenir sans progresser ; à la campagne, la grande exploitation, le fermage libre ou le servage se substituent à sa place. En revanche, la démarcation juridique est moins tranchée que jadis. Si la noblesse des Temps Modernes paraît à bien des égards plus orgueilleuse que celle du Moyen Age, c’est qu’elle éprouve le besoin de conserver ainsi à l’égard des « nouveaux riches » une distance que la ressemblance des fortunes, de l’instruction et des intérêts, pourrait leur faire aisément oublier. Rien de plus facile pour eux d’ailleurs que d’obtenir les lettres patentes qui leur permettent de pénétrer dans son sein et de participer à l’éclat qu’elle doit à la tradition et qu’en-