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magnifique domaine dont ils n’étaient séparés que par la Lorraine et l’Alsace qu’ils menaçaient d’absorber. Ainsi, en quelques années, s’était constitué au nord et à l’est du royaume une puissance nouvelle qui occupait approximativement la place prise jadis, au ixe et au xe siècle, par l’éphémère royaume de Lotharingie. Les Pays-Bas sortaient du morcellement féodal pour s’unir sous une même dynastie en un seul État, commun ancêtre de la Belgique et de la Hollande moderne. Un sol fertile, une situation géographique incomparable au bord de la Mer du Nord, des fleuves profonds, des ports excellents, une population laborieuse et plus dense qu’en aucune autre partie de l’Europe au nord des Alpes, des villes florissantes, célèbres dans le monde entier par leur draperie ou par leur commerce, dont l’une, Bruges, était depuis trois siècles le grand port international de l’Occident et dont une autre, Anvers, préludait à une prospérité plus étonnante encore, la navigation entreprenante de la Hollande et de la Zélande qui commençait dès lors à se substituer à celle de la Hanse en décadence, enfin dans les régions agricoles de la Wallonnie, un peuple robuste et guerrier, tout cela semblait s’être réuni par miracle pour faire du jeune État une « terre de promission » et assurer à ses souverains le prestige extraordinaire qui a entouré Philippe le Bon et son fils Charles le Téméraire.

Mais plus ce nouveau voisin était riche et puissant, plus il était dangereux pour la France. Qu’il le voulût ou non, il était pour elle une menace permanente. D’Amiens ses troupes pouvaient, en deux jours de marche, paraître sous les murs de Paris. Et surtout, il s’imposait à l’Angleterre comme un allié naturel par la situation qu’il occupait. Il fallait craindre qu’à la première guerre il ne jouât de nouveau le rôle que les comtes de Flandre avaient joué si souvent au Moyen Age, mais cette fois avec des forces décuplées. En somme, la France semblait n’avoir expulsé les Anglais de son territoire que pour se voir exposée maintenant, sur sa frontière du nord, partout ouverte et sans défenses naturelles, aux entreprises de la Bourgogne.

Le conflit, déjà latent entre Charles VII et Philippe le Bon, devait éclater sous leurs successeurs, Louis XI et Charles le Téméraire. La crise fut violente, mais elle fut courte. Les troubles civils de l’Angleterre l’empêchèrent d’y prendre part au moment opportun. Charles ne put compter au début que sur le duc de Berry, le frère du roi, sur le duc de Bretagne, le dernier grand vassal de la