Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/494

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mais anarchique, quand l’union doublement nationale de Ferdinand et d’Isabelle, non seulement mit fin au long coflnit qui épuisait leurs royaumes, mais leur permit d’en rallier, puis d’en subordonner les peuples à leur pouvoir et de leur en imposer si profondément l’empreinte, de les soumettre si complètement à leur direction, dans tous les domaines de l’activité, que sans doute dans aucun pays ni à aucune époque, souverains n’ont exercé une action plus profonde.

Dans l’État espagnol, tel qu’ils l’ont fondé, le sentiment catholique et le sentiment politique s’associent si complètement l’un à l’autre qu’ils se confondent. La monarchie appelle à son aide le vieux fanatisme religieux de ses sujets, et sa cause s’identifie à leurs yeux avec celle de la foi. Son zèle pour l’orthodoxie l’a rendue profondément nationale et au milieu du plus intolérant des peuples, son intolérance a été l’instrument de son succès. Dès 1480, l’inquisition chargée de surveiller les Juifs convertis (maranos), devient, sans perdre son caractère ecclésiastique, une institution de l’État puisque l’État nomme le grand inquisiteur et que les jugements qu’il rend ne peuvent être portés en appel à Rome. La figure de Torquémada est inséparable de celles de Ferdinand et d’Isabelle. Tous trois sont sincères dans leur haine de l’hérésie, et si la couronne confisquant à son profit les biens des condamnés morts sur le bûcher, s’enrichit de leurs supplices, elle n’en profite que pour aborder de nouvelles entreprises aussi avantageuses pour elle-même que pour l’Église. La guerre sainte, depuis longtemps interrompue, est reprise contre les Maures, si bien que la constitution définitive du territoire national apparaît comme le résultat d’une Croisade. Mais il ne suffit pas de combattre les Musulmans. Les Juifs ne sont pas moins qu’eux les ennemis du Christ. En 1492, l’année même de la conquête de Grenade, ils étaient expulsés du royaume. Cette conquête et cette expulsion firent regorger le trésor et fournirent les ressources nécessaires aux progrès de l’expansion politique et religieuse. Pendant que Christophe Colomb s’élançait à la découverte d’un monde nouveau à soumettre et à convertir, les expéditions dirigées contre les côtes du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, semblaient annoncer que toutes les forces de l’Espagne allaient entrer en lice contre l’Islam. Rien ne paraissait mieux répondre à son caractère, à son rôle historique, à ses intérêts mêmes de peuple méditerranéen. Rien n’aurait pu en tous cas lui procurer une gloire plus belle et un plus grand ascendant