Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/503

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nistes contre les préjugés moraux ou politiques, en protégeant les luthériens qui lui soumettaient la direction et les biens de l’Église ? Tous les droits qui s’opposaient à la puissance de la couronne s’appuyaient sur les traditions. Il n’en fallait pas davantage pour qu’elle approuvât de bonne foi toute critique de cette même tradition et qu’elle considérât comme sa mission d’en affranchir ses sujets et de s’en affranchir elle-même.

Les faits répondent à la question avec une netteté parfaite. Dans tous les pays où le capitalisme se développe, on voit les princes lui prodiguer les preuves de leur bienveillance. Dans les Pays-Bas, ils se prononcent régulièrement en sa faveur contre la politique réactionnaire des métiers urbains, et poussent de toutes leurs forces au développement d’Anvers, la ville de la liberté commerciale. En Angleterre, depuis le règne de Henri VII, la couronne seconde les entreprises des Merchant adventurers et s’intéresse à tous les projets d’expansion maritime. En Espagne, c’est son intervention qui [ rend possible la découverte du Nouveau Monde. En France, Louis XI acclimate le ver à soie dans le midi, fait exploiter des mines, suscite de toutes manières l’initiative économique, et François Ier s’efforce d’introduire dans le royaume des industries italiennes. Protégé par les souverains, le capital met en revanche ses ressources et son crédit à leur disposition. Grâce à lui, ils sont dispensés de recourir aux assemblées d’États pour se procurer les moyens de faire la guerre. Leurs banquiers les affranchissent du contrôle gênant de leurs sujets. La longue lutte de Charles-Quint et de François Ier serait incompréhensible sans le concours de la haute finance. Les Fugger et quantité d’autres maisons d’Anvers n’ont cessé, durant tout le règne de l’empereur, de lui avancer les sommes colossales qu’il dévorait.

La faveur des princes ne s’atteste pas moins clairement pour la liberté intellectuelle que pour la liberté économique. A l’exception des rois d’Espagne, tous affichent leurs sympathies pour les idées que répandent les hommes de la Renaissance, sans s’inquiéter des protestations des théologiens. Érasme est protégé par Charles-Quint et par François Ier ; Thomas Morus est fait chancelier d’Angleterre par Henri VIII. Gattinara et Granvelle, les deux principaux ministres de l’empereur, sont des adhérents convaincus de l’orientation nouvelle des esprits. Il est trop évident, en effet, qu’elle est tout à l’avantage de l’État, car les humanistes ne pouvant attendre que des princes les réformes qu’ils espèrent, le gou-