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économique du Moyen Âge commence avec eux. Tout d’abord, la régression des procédés de culture est évidente. Il devient inutile, en effet, de faire produire au sol plus que n’exigent les besoins du cultivateur, puisque le surplus ne pouvant être écoulé, ne servirait ni à améliorer la condition du travailleur, ni à augmenter la rente de la terre. On se contentera donc d’un minimum de soins et d’efforts et on laissera s’oublier la science agronomique jusqu’au jour où la possibilité de vendre les récoltes incitera les détenteurs du sol à adopter des méthodes plus perfectionnées et par conséquent plus lucratives. Mais c’est qu’alors la terre commencera à être appréciée comme une valeur et non comme un simple moyen de subsistance.

Un autre caractère de l’exploitation domaniale est la substitution presque complète des prestations en nature aux paiements en argent. Il va de soi que c’est là une suite naturelle et nécessaire de l’absence de vente à l’extérieur. Le propriétaire dont la subsistance dépend de son domaine, fixe en produits naturels, parfois même en matières premières travaillées par le paysan, la quote part de chaque tenure dans ce que l’on pourrait appeler son revenu alimentaire. À des époques déterminées, et conformément à une répartition permanente, elles auront à lui livrer des grains, des œufs, du fromage, des viandes fumées, des aunes de toile. On se tromperait fort en croyant que l’on se trouve ici en présence d’un retour aux âges antérieurs à l’invention de la monnaie, et l’expression assez malheureuse d’économie naturelle (natural wirtschaft) par laquelle on désigne habituellement ce système n’en rend que très imparfaitement la nature. En réalité la monnaie ne cesse point d’exister comme instrument d’échange et mesure des valeurs. On ne voit pas que, du ixe au xiie siècle, des produits naturels quelconques se soient substitués à elle et en aient rempli les fonctions. Il est vrai seulement de dire que, dans l’intérieur du domaine, elle a cédé tout naturellement la place à la pratique imposée par la nécessité, des fournitures en objets de consommation. Au dehors, elle reprend ses droits, et c’est en deniers et en oboles que se payent les quelques denrées, œufs et volailles, apportées chaque semaine par les paysans aux petits marchés locaux dont aucune société ne peut se passer complètement.

Il faut considérer encore que la prestation de chaque tenure est invariable et que, moyennant qu’il la fournisse, le tenancier jouit d’un droit héréditaire à la terre qu’il occupe. Et cela aussi