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LE BANQUET

celles auxquelles on ne fait point leur part (209 e-210 d).

b. En conduisant à la connaissance, cette dernière étape va rendre possible la révélation. Tandis que jusqu’alors la route se découvrait à nous progressivement, le sommet vers lequel elle monte est aperçu soudainement par une intuition, une vision immédiate de la pensée. C’est là ce que Platon appelle la science une, dont l’objet est lui-même un objet un. Cet objet en effet est une beauté dont toute l’existence est constituée par sa seule essence (cf. 211 e) et, par conséquent, soustraite du même coup à la multiplicité des apparences et à leur relativité, à la diversité des opinions et à leur versatilité, au devenir et au changement quantitatif ou qualitatif, à la nécessité enfin de s’enfermer, comme ce qui est visible pour les yeux du corps, dans les contours d’une forme solide ou de subsister en quelque sujet distinct, science, discours, être animé quelconque (cf. p. 69 n. 3). Tout au contraire les choses belles, auxquelles conviennent les déterminations qu’exclut précisément la beauté éternelle, ne possèdent ce qu’elles ont d’existence que par leur participation à cette essence absolument existante, laquelle n’est affectée, ni par leur diversité, ni par leurs changements, ni même par leur anéantissement. C’est donc la forme intelligible du beau, ou, comme nous disons, l’Idée du beau, le Beau qui n’est rien autre chose que cela même[1]. Bien que cette élévation de l’âme jusqu’au Beau intelligible revête l’aspect d’un mystère, elle n’est pas à proprement parler un élan mystique ; c’est une sorte de dialectique ascendante, car elle consiste, on l’a vu, à gravir une série d’échelons, sur chacun desquels s’opère une unification de la multiplicité déterminée qui caractérise cet échelon (cf. 210 e-211 c), une sorte de rassemblement synoptique (συναγωγή). Il y a donc une remarquable analogie entre la méthode de l’Érotique et cette méthode dialectique qui est décrite brièvement dans le Phédon (101 d [cf. Notice, p. lii]), plus longuement dans la République à la fin du livre VI, puis au début ou vers la fin du livre VII[2]. Le

  1. Cf. p. 69, n. 4 et Phédon, Notice p. xxv n. 2, p. l n. 1.
  2. Cette comparaison est examinée avec quelque détail dans ma Théorie platonicienne de l’Amour, p. 183-189. On y trouvera aussi, p. 200 sq., un essai, sujet à révision, pour déterminer la nature de la dialectique de l’Amour.