Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 2 (éd. Robin).djvu/111

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NOTICE

sens : Socrate périra sous les haines, mais l’amour de la jeunesse, duquel il est l’incarnation symbolique, et l’amour qui porte vers lui la jeunesse, revivront dans le fondateur de l’Académie et autour de lui[1]. Ce qui fait enfin que l’Amour est philosophe, c’est qu’il n’est ni radicalement ignorant, ni savant absolument (cf. 204 ab, 203 d fin ; p. lxxxi sq.). Semblablement, l’attitude philosophique de Socrate se caractérise essentiellement par l’ « inscience », la conscience de ce qu’il sait ignorer, et ensuite par « l’ironie », admiration simulée à l’égard de ceux qui croient savoir et réellement ne savent pas. Ces deux traits, le second surtout, sont bien marqués dans le discours d’Alcibiade (216 d, 218 d, 221 e sq.) : Socrate y insiste sur le peu qu’il est (219 a ; cf. 175 e), et Alcibiade, sur le sérieux apparent de cette humilité, auquel chacun se laisse prendre (216 e sq.), jusqu’à ce qu’on s’aperçoive que ce sont là moqueries de satyre impertinent (216 b, 219 cd, 221 e). Au reste, la ruse dialectique, le vieil artifice de la méthode de Zénon d’Élée, qui est un procédé caractéristique du Socrate platonicien, n’a-t-elle pas son équivalent dans les ruses que trame incessamment l’Amour (cf. 203 d, 205 d) ? C’est là, Alcibiade le dit expressément, le sens vrai de l’image des Silènes sculptés : la naïveté d’enfant avec laquelle Socrate affecte d’avoir tout à apprendre, c’est l’enveloppe bouffonne sous laquelle il cache le savoir dont il surabonde (216 de ; cf. 215 ab, 221 de)[2]. Ainsi, cette personnalité, qui est un mystère, est en apparence l’absence même de mystère ; de même, à l’exception peut-être d’Aristophane, aucun des discoureurs de la première partie n’avait aperçu dans l’Amour rien de mystérieux, rien qu’il ne fût en état d’exposer dogmatiquement en vertu de sa compétence spéciale.

  1. Comparer Phédon 115 b (cf. ici xci sq.). Peut-être aussi cette conciliation dans l’amour de l’épanouissement des énergies de la pensée avec l’engourdissement de la vie a-t-elle son équivalent dans cette idée que, pour le philosophe, la demi-mort dont est faite son existence, sa perpétuelle mortification, est justement la condition de la vie la plus intense et la plus vraie ; voir le Phédon, en comparant 64 b avec 65 d-66 a, 66 d-67 a.
  2. D’un bout à l’autre le Banquet est lui-même une œuvre d’ironie : sous sa frivolité apparente il dissimule les plus profondes conceptions ; c’est un Silène sculpté.