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LE BANQUET

Pour exprimer la nature synthétique de l’Amour un mot suffit : il est un « démon ». Or la fonction de ces êtres intermédiaires est de relier l’homme aux dieux : des démons, procèdent rites d’initiation, méthodes divinatoires, formules d’incantation, procédés magiques ; d’autre part l’inventeur, l’homme de génie en quelque ordre d’activité que ce soit, est un être « démonique » (cf. 202 e sq.). Est-il besoin, à ce propos, de rappeler la croyance de Socrate à son Démon ? Une seule allusion pourrait y être découverte dans le Banquet (cf. p. 54, n. 1). Mais, quand Alcibiade veut qualifier Socrate, c’est pourtant avec cette même épithète qui a servi à Diotime pour qualifier les hommes sur qui les démons ont mis leur empreinte (219 c déb.). La vérité paraît même être quelque chose de plus profond. Ici, en effet, le Démon semble ne plus se distinguer de celui qu’il inspire, sur lequel ailleurs il veille et qu’il préserve par ses avertissements. Il se confond maintenant avec la personne de Socrate. N’est-il pas remarquable que Platon, à la fin du dialogue (220 c), reprenne dans le portrait de Socrate par Alcibiade, et avec une insistance particulière, une notation qui, indiquée au début (176 b), a pu ne pas retenir suffisamment l’attention : je veux parler de ces extases dans lesquelles Socrate, absorbé par ses méditations, se détache de la vie sensible et corporelle pour entrer en communication par la pensée avec un autre monde ; on le voit tenant à la terre sur laquelle il est tout droit planté, et pourtant il n’est plus de la terre. C’est qu’alors il est lui-même le Démon, le médiateur, trait d’union entre le divin et l’humanité. — En outre, dans le fracas des récriminations d’Alcibiade, on discerne un écho d’une conviction qu’on avait déjà rencontrée chez Agathon (cf. 194 a et p. 38, n. 1) : pour que la beauté d’Alcibiade n’ait pas opéré, c’est sûrement qu’un « sort » lui a été jeté par Socrate ! Enchanteur comparable aux Sirènes (216 a), celui-ci n’a pas besoin de flûte pour produire ses enchantements, puisque c’est assez de sa parole, même pauvrement rapportée : en quoi il est supérieur au Satyre Marsyas, l’émule d’Apollon, et à Olympe, son élève. Mais l’effet que ses enchantements produisent n’est pas pour cela différent, car, provenant, eux aussi, d’une influence surnaturelle, ils mettent pareillement en état de « possession » ; autrement dit, ils provoquent l’enthousiasme et manifestent ainsi les hommes