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XV
NOTICE

entonne à cette marionnette une quantité démesurée du vin : toute la machine en est bouleversée ; émotions et passions sont surexcitées, et la raison éteinte perd le contrôle (644 c-646 a). Tout au contraire, si cette quantité est mesurée et réglée, elle aura pour effet de donner aux âmes une confiance, une fraîcheur de jeunesse, une souple docilité, qui les rendront propres à recevoir les enseignements de la raison et à acquérir ainsi les sentiments divins de la pudeur et de la honte : c’est ainsi que les banquets deviendront le plus salutaire exercice en vue de la tempérance (II 671 a-673 d, 673 e). Or cela n’arrivera que si le législateur en donne la direction à un président[1] sobre et sage, qui ait en vue l’excellence de leur fin véritable. Autrement, Platon préconise une prohibition radicale de l’usage du vin (639 c-641 a, II 674 a). L’intérêt de ces passages n’est pas seulement de montrer quelle place tiennent ces sortes de réunions dans les préoccupations de Platon, législateur moraliste. On voit en outre qu’il y plaide pour une coutume spécifiquement athénienne contre les critiques dont elle était l’objet chez d’autres peuples grecs, peut-être chez les Crétois, fiers de leurs repas communs (syssities), et sûrement à Lacédémone où de tels divertissements étaient sévèrement proscrits. Ces critiques, dit-il, supposent une expérience insuffisante et un singulier manque de jugement, parce qu’elles n’ont égard qu’au mauvais usage que l’on fait des banquets (636 e-637 d, 638 c-641 a).

Envisageons maintenant ce à quoi on employait le temps, tout en buvant. Dans un charmant morceau du Protagoras (347 c-348 a), Platon persifle ces gens médiocres et communs qui, n’ayant rien à se dire quand ils sont ensemble à boire, ni, faute de culture, rien à dire qui soit de leur cru, font appel, moyennant finances, aux services d’une joueuse de flûte, d’une cithariste, d’une danseuse. Ainsi font les gens, fort distingués pourtant, que Xénophon réunit dans son Banquet (cf. Notice, section IV). — Des chansons qu’on appelait scolies y avaient aussi leur place : en s’accompagnant de la lyre, chacun chantait la sienne à son tour, comme cela se fait au dessert dans nos repas de campagne. Sans doute quelques-unes étaient traditionnelles ; mais tous les poètes lyriques

  1. Un ἄρχων, ce qu’Alcibiade prétend justement vouloir être, 213 e.