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LE BANQUET

tant ? Ou bien n’as-tu pas idée qu’entre science et ignorance il existe un intermédiaire ? — Et quel est-il ? — Porter des jugements droits et sans être à même d’en donner justification, ne sais-tu pas que cela n’est, ni savoir (car comment une chose qui ne se justifie pas pourrait-elle être science ?), ni ignorance (car ce qui par chance atteint le réel, comment serait-ce une ignorance[1] ?). Or c’est bien, je suppose, quelque chose de ce genre, le jugement droit : un intermédiaire entre l’intellection et l’ignorance. — C’est la vérité, répondais-je. — Ainsi donc, ne veuille pas, à toute force, que ce qui n’est pas b beau soit laid et, pas davantage, que ce qui n’est pas bon soit mauvais ! Or, c’est aussi le cas pour l’Amour : puisque, tu en conviens toi-même, il n’est pas bon, pas beau non plus, il n’y a pas davantage de motif pour te figurer qu’il doive être laid et mauvais, mais plutôt, me disait-elle, que c’est un intermédiaire entre l’un et l’autre.

— Et pourtant, répliquais-je, c’est bien quelque chose dont convient tout le monde[2], que l’Amour est un grand dieu ! — Sont-ce, me disait-elle, les gens qui ne savent pas, ce tout le monde dont tu parles ? ou bien, en outre, ceux qui savent ? — Tous ensemble, sans aucun doute. » Elle se mit à rire : « Comment diable, Socrate, dit-elle, serait-il reconnu c pour un grand dieu par ceux qui assurent que ce n’est même pas un dieu ! — Qui sont ces gens-là ? m’écriai-je. — En voici un, dit-elle : c’est toi ; et une autre : c’est moi ! » Là-dessus je réplique : « Que signifie, dis-je, ce langage ? — C’est bien simple, répond-elle. Dis-moi, n’assures-tu pas que tous les dieux sont beaux et heureux ? ou bien aurais-tu l’audace de refuser la beauté comme le bonheur à tel d’entre eux ? — Par Zeus ! dis-je, non, ce n’est pas mon cas ! — Mais en vérité ceux que tu appelles heureux, est-ce que ce ne sont pas ceux qui ont à soi les choses bonnes et les choses belles ? — Hé ! absolument. — Il n’en est pas moins vrai

    De la sorte il pourra continuer la discussion commencée, mais en se substituant à Agathon et Diotime à lui-même.

  1. Entre les extrêmes, science et ignorance, est l’opinion (doxa, Rép. V 476 e ad fin.). Un jugement fondé en raison est science, mais il peut, sans cela, être vrai ou droit : mener au but sans qu’on sache le chemin, par bonne fortune ou grâce divine (Ménon 97 ab, 98 a, 100 a ; Rép. VI 506 c ; Théét. 201 bc).
  2. Pas plus qu’aux illusions du langage (cf. p. 49, 1), on ne doit