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NOTICE

ger arménien », mais Er, nominativement désigné ; ou bien encore l’éloge funèbre du Ménexène, bien qu’il soit prononcé par Aspasie[1] : n’y a-t-il pas d’ailleurs entre Aspasie, professeur d’éloquence philosophique, et Diotime, professeur d’amour philosophique, une singulière ressemblance ?

Ces raisons toutefois ne sont pas, par elles-mêmes, entièrement décisives ; mais d’autres viennent leur donner leur pleine signification. C’est d’abord la façon dont sont amenés les entretiens de Socrate avec Diotime. Après les autres convives, Socrate doit, à son tour, prononcer un éloge de l’Amour, et on a accepté qu’il le fît selon la méthode qui lui convient. Or, pour qu’il soit en état de parler, il faut auparavant qu’il interroge Agathon sur quelques points indécis et qu’il se mette d’accord avec lui à leur sujet (198 c-199 b). Or l’entretien qui a pour objet cet accord réciproque ne tarde pas à tourner à l’aigre, au moins du côté d’Agathon (201 c). La discussion continuera-t-elle sur ce ton et dans cette atmosphère d’orage ? C’en serait fini de la cordialité du banquet, et, envers celui dont il est l’hôte, Socrate se montrerait discourtois en insistant davantage. Aussi, à ce moment même, donne-t-il son congé à Agathon et met-il en scène Diotime. Mais il a soin d’indiquer, d’une part, que sa conversation avec Agathon est le préambule de la relation qu’il fera des paroles de Diotime, et, d’autre part, que pour faire cette relation il est livré à ses propres ressources. Ce que la suite explique : le langage que tout à l’heure lui tenait Agathon est celui qu’il tenait lui-même à Diotime, et ce qu’il disait à Agathon, c’est ce que celle-ci lui disait ; en d’autres termes, à lui tout seul (αὐτός d 7), il va jouer les deux personnages, celui qui interroge et celui qui répond ; d’où il suit qu’il sera à la fois Agathon et Socrate, à la fois aussi Socrate et Diotime. De cette façon, sous le masque de Diotime, il pourra, sans manquer à la courtoisie, sans irriter les susceptibilités, dire à Agathon comme au reste de la compagnie tout ce qu’il a à dire. Et ce masque, en second lieu, va bien à l’inspiré qu’il est lui-même. Dès le début en effet Platon

  1. Le cas du Ménexène est particulièrement gênant pour les partisans de l’historicité des dialogues. Voir A. E. Taylor, op. cit. 41-45. — Pour le rapprochement avec Diotime, cf. Wilamowitz, op. cit. II 174.