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LE BANQUET

a pris soin (174 d-175 d) de souligner fortement ce trait du personnage et il le reprendra avec plus d’insistance encore dans le discours d’Alcibiade (220 cd ; voir p. cvi sq.). Le discours de Diotime est donc celui de Socrate[1], sa contribution oratoire personnelle à l’œuvre commune.

Au surplus la feinte est rendue sensible par nombre d’indications, dont quelques-unes peuvent sembler destinées à démasquer la personnalité même de Platon. Passons en revue ces indices. Je n’insisterai pas sur le soin constant que prend Socrate de s’humilier devant Diotime, ironie dont le but évident est de ménager l’amour-propre d’Agathon : sa déconvenue publique lui sera moins sensible, si Socrate apparaît plus petit garçon devant la docte Diotime qu’il ne l’était lui-même en face de Socrate (cf. p. 56 n. 4) ; il sera en outre intimement flatté de voir le détracteur de la Sophistique recevant des leçons d’un parfait Sophiste (cf. p. 60 n. 3). Autre chose : n’est-on pas quelque peu surpris, quand on voit Socrate tenu par tous ceux qui sont là pour un maître en matière d’amour (cf. p. 72 n. 1), et lui-même déclarant qu’il doit à Diotime tout ce qu’il en sait (201 c, 212 b), d’entendre celle-ci prophétiser chez lui l’intention de devenir un jour (207 c déb.) ce que chacun juge qu’en fait il est devenu ? N’y a-t-il pas là praedictio ex eventu ? Comment encore expliquera-t-on que cette Diotime soi-disant historique fasse mainte allusion, plus ou moins directe, aux discours déjà prononcés au cours du banquet ? L’une d’entre elles est aussi peu voilée que possible : Diotime connaît en effet l’existence d’une certaine doctrine d’après laquelle aimer c’est chercher à retrouver l’autre moitié de soi-même (205 de). Or c’est justement la doctrine qu’Aristophane vient d’exposer (191 d-193 c). Diotime a même si bien oublié qui elle est, que, au moment d’en faire la critique, elle s’adresse à Socrate dans une forme inusitée[2] et l’appelle mon camarade, tout comme le ferait Socrate s’adressant directement à Aristophane, son associé en effet dans l’œuvre à laquelle est

  1. A. E. Taylor lui-même ne peut s’empêcher d’en convenir, op. cit. p. 225.
  2. Toutes les autres fois, elle l’appelle par son nom ; tout au plus, deux fois (204 b fin, 211 d déb.), plus familièrement : « mon cher Socrate ».