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NOTICE

devenir et dans la façon dont il traduit et développe sa nature, celle-ci se révèle encore contradictoire et n’étant ni d’un mortel, ni d’un immortel ; car tour à tour il est plein de vie, puis mourant ; mais voici bientôt qu’il ressuscite dès que l’hérédité paternelle reprend l’avantage ; puis c’est le naturel de sa mère qui reparaît, et il perd aussitôt tout ce qu’il avait gagné ; si bien que, en fin de compte, sa richesse n’est pas plus essentielle et durable que ne l’est sa pauvreté (203 c-e).

La conséquence la plus importante de cette dualité de nature, c’est que l’Amour est philosophe. À la vérité, d’après ce qui a été dit un peu plus haut (203 d fin), on pourrait penser que ce n’est pas un effet de sa complexion synthétique, mais bien d’un seul des facteurs de cette complexion, le naturel de son père. Cependant, après le développement par lequel Platon explicite sa pensée, il ne saurait y avoir aucun doute à cet égard : l’ignorance, mais accompagnée de la conscience de cette ignorance, bref un état intermédiaire entre l’ignorance qui s’ignore et le savoir qui s’est satisfait, voilà ce qui fait le philosophe, l’homme qui désire acquérir un bien dont il est dépourvu : le savoir. — Mais cet apparent désaccord est-il une négligence ? Il n’en est rien, semble-t-il. En effet l’acharnement particulier que, de par son père, l’Amour met à philosopher est rapproché de ses talents de sorcier et de sophiste. Cet acharnement signifierait donc l’impatience de savoir, la curiosité spontanée, universelle, aventureuse et sans règle, plutôt que le désir réfléchi de savoir se fondant sur la notion précise de ce que nous ignorons : un élan passionné, plutôt qu’une conscience de notre misère où nous puiserions l’envie de nous en délivrer. Le Phédon, qui fait une si grande place aux notions d’affranchissement et de purification, est tout imprégné de cette seconde conception de la philosophie (par ex. 82 d-83 b), tandis que la première est critiquée dans la République (V 475 cd). Au surplus, la vraie philosophie ne se fonde-t-elle pas, Platon l’a maintes fois répété, sur l’examen critique, par lequel on prend conscience du peu que l’on sait ou que l’on est ? Or, c’est précisément sur cette idée qu’il insiste ici (204 a, 4-7) : puisqu’il a été établi d’un commun accord que l’Amour ne peut être amour que de ce dont il se sait ou se croit dénué (cf. 200 a-e), la conscience de son dénûment en fait de savoir est, pour le