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LE BANQUET

affectent le ton d’une révélation qui exigerait, pour qu’on en devinât le sens, une initiation préalable (206 b fin). Bien que celle-ci fasse encore défaut, un aperçu de ce que doit être la révélation sera brusquement offert (cf. p. 69, n. 2) : l’objet de l’amour, prononce Diotime, c’est d’enfanter dans la beauté, et selon le corps et selon l’âme. Ainsi, ce qui n’était dans la bouche d’Agathon (cf. 197 a déb.) qu’un jeu de mots, devient une explication : l’amour (c’est-à-dire l’amant, 204 c) est créateur, il l’est dans l’ordre spirituel comme dans l’ordre physique, et, dans celui-ci même, par la reproduction de l’espèce, s’affirme ce qu’il y a de divin dans sa nature synthétique, un effort pour s’immortaliser (cf. 207 ab, 212 cd). Cette puissance de créer, qui définit sa fonction, dépend de l’existence en tout homme d’une fécondité naturelle ; dans le temps voulu, cette fécondité demande à se manifester, soit par la génération qui en transmet le germe, soit par l’enfantement qui met au jour, et cela, comme on vient de le voir, dans un ordre ou dans l’autre. Au voisinage de la beauté, c’est-à-dire de l’aimable, cette fécondité, impatiente de féconder ou de produire, sent avec des transports inouïs qu’elle le pourra facilement et avec succès ; que, au contraire, dans ce qui est laid et sans harmonie, étranger par conséquent au caractère divin de la tendance qui l’y pousse, elle ne réussirait pas à engendrer, ou n’enfanterait que dans la douleur. Or, produire ainsi hors de soi, par l’esprit ou par la chair, une existence dans laquelle on se continue, c’est le seul moyen de s’immortaliser que possède un être mortel. De la sorte, la détermination spécifique de l’amour rejoint la détermination générique sur laquelle l’accord s’était établi (cf. 206 a) : l’amour proprement dit, dont l’objet est d’enfanter dans la beauté selon le corps et selon l’âme, et ainsi de se rendre immortel autant que le peut un mortel, cet amour est bien une forme particulière du désir général de posséder le bon et de le posséder perpétuellement (206 b-207 a ; cf. p. 60, n. 1). — Le rapport de ce développement avec la « maïeutique » du Théétète est évident. Mais faut-il considérer cette dernière comme une application d’un symbole proprement socratique ? Celui-ci serait alors la source de la conception du Banquet. Ou bien, ce que je crois, doit-on y voir un symbole créé par Platon lui-même, en conséquence de cette conception et en harmonie avec elle ? Toujours est-il que la « maïeutique », art