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PHÈDRE

Socrate. — Quelle idée ! Ne suis-je pas à tes yeux, comme dit Pindare, homme à sacrifier tout empêchement au soin d’écouter ce à quoi vous passiez votre temps. Lysias aussi bien que toi ?

Phèdre. — c Avance, alors !

Socrate. — Tu peux parler…

Phèdre, auditeur d’un discours de Lysias sur l’amour.

Phèdre. — Eh ! oui, Socrate, d’autant qu’elle est de ton ressort, la chose qu’il s’agit d’écouter. La question en effet dont nous nous occupions avait, je ne sais comment, rapport à l’amour[1]. Lysias, il faut te dire, a mis en écrit la séduction d’un beau garçon, et non par un amant ! Mais, c’est même justement là qu’est l’ingéniosité, il dit qu’on doit donner ses faveurs à celui qui n’aime pas, plutôt qu’à celui qui aime.

Socrate. — Ah ! le brave homme ! Que n’écrit-il que c’est obligatoirement au pauvre plutôt qu’au riche, au vieux plutôt qu’au jeune ; sans parler de toutes les misères qui me d sont personnelles, comme à la plupart d’entre nous ! Voilà en effet des propos dont la civilité servirait aussi l’intérêt des gens[2]… Aussi, ma foi, me suis-je senti une telle envie de t’écouter que, devrais-tu en faisant ta promenade marcher jusqu’à Mégare, et, selon la méthode d’Hérodicus[3], aller de là jusqu’aux Murs pour revenir ensuite sur tes pas, non, je ne me laisserais pas lâcher par toi d’une semelle !

Phèdre. — Qu’est-ce à dire, excellent Socrate ? T’imagines-tu que 228 des choses dont la composition a été pour Lysias l’affaire de beaucoup de temps et d’une patiente étude, pour lui le plus habile des écrivains actuels, ces choses-là, moi un profane, je les redirai par cœur d’une façon digne de cet homme ? Ah ! il s’en faut de beaucoup ; et pourtant, oui, bien davantage le souhaiterais-je que de me voir tomber une grosse fortune[4]

Socrate. — Ô Phèdre, si de moi Phèdre est ignoré, c’est que j’ai perdu jusqu’à la conscience de ce que je suis ! Mais

  1. Voir Banquet 177 d et p. 72, n. 1.
  2. Démagogie humanitariste ; cf. Aristophane, Nuées 204 sq.
  3. Médecin et maître de culture physique (Prot. 316 e, Rép. III 406 a) ; il était de Mégare, puis s’était installé à Sélymbrie.
  4. Phèdre est pauvre, mais plus avide d’instruction que de richesse. Sur ce trait de son caractère, cf. Banquet, Notice p. xxxvii sq.