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CRATYLE

Mais l’examen du mot σκληρότης lui fait voir que ce nom ne peut s’expliquer par la théorie de la justesse naturelle. À Érétrie on dit σκληρότηρ, et non σκληρότης, comme en Attique ; et pourtant c’est la même notion qu’on exprime. Le σ n’a cependant pas ici la valeur du ρ ? Le nom signifie dureté ; or, le λ qu’il renferme indique, on l’a vu, le contraire de la dureté. Néanmoins les gens se comprennent fort bien dans l’emploi de ce mot. Il faut donc admettre que l’usage est un moyen de représenter, à l’aide du semblable et du dissemblable, et faire dans le langage une part à la convention.

Voilà une réserve capitale apportée aux conclusions de la première partie. Elle montre en quoi les conditions idéales indiquées plus haut sont en désaccord avec la réalité. On s’est même demandé[1] si, aux yeux de Platon, ce n’est pas l’usage et la convention qui déterminent, plutôt que la convenance naturelle, la justesse du langage[2].


Le langage et la connaissance.

Au cours de sa discussion avec Hermogène, Socrate avait lui-même défini le nom comme un instrument qui sert à instruire, et à discerner l’essence des choses (388 bc). Dans l’hypothèse de la justesse naturelle des noms, ces deux fonctions étaient admises sans peine : si le nom exprime l’essence des choses, on connaîtra l’une en connaissant l’autre. Il en va

    croire, comme le vulgaire, que la copie (le nom) doit être entièrement semblable à l’objet. Il constate maintenant que par définition elle doit présenter, avec des éléments semblables à l’objet, des éléments dissemblables. Par là, le débat sur la nature de l’ὀρθότης prend une direction nouvelle : on prévoit la part qui va être faite à la convention. — Cette interprétation nous semble inexacte. Quand Socrate déclare que la copie (le nom) ne doit pas viser à reproduire en tous ses détails l’objet représenté, il ne veut pas dire qu’elle comportera nécessairement des éléments sans ressemblance avec l’objet, mais qu’elle ne retiendra que les traits essentiels. Plus loin, il s’exprime fort clairement : « Le nom bien fait aura les lettres appropriées (c.-à-d. semblables à l’objet) ; le nom mal fait sera formé de lettres appropriées, mais il en contiendra quelque autre mal appropriée » (433 c). Ceci n’a encore rien avoir avec la convention.

  1. Horn, o. l., p. 59.
  2. Voir Platon, lettre VII, 343 a.