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LA RÉPUBLIQUE X

ment à la vue et avait en lui des opinions contraires dans le même temps sur les mêmes objets, est-il aussi dans sa conduite en contradiction et en lutte avec lui-même ? Mais je me rappelle que sur ce point du moins il n’est plus besoin de nous mettre d’accord ; car nous nous sommes suffisamment entendus précédemment[1] sur toutes ces questions, et nous avons reconnu que notre âme était remplie de mille contradictions de ce genre qui s’y rencontraient en même temps.

Et nous avons eu raison, dit-il.

Oui, nous avons eu raison, appuyai-je ; mais il me paraît indispensable d’expliquer à présent ece que nous avons omis alors.

Qu’est-ce ? demanda-t-il.

Nous disions alors, repris-je, qu’un homme de caractère modéré à qui il est arrivé quelque disgrâce, comme la perte d’un fils ou de quelque autre objet très cher, porterait cette peine plus aisément que tout autre[2].

Assurément.

Eh bien maintenant examinons s’il y sera insensible, ou si, cela étant impossible, il saura modérer son chagrin.

C’est plutôt cette seconde alternative qui est la vraie, dit-il.

604Mais dis-moi encore : quand crois-tu qu’il luttera surtout et se raidira contre son chagrin ? lorsqu’il sera sous les yeux de ses semblables, ou lorsqu’il sera seul et sans témoin vis-à-vis de lui-même ?

Il prendra bien plus sur lui, dit-il, quand il sera sous les yeux des autres.

Mais quand il sera seul, il osera, je pense, proférer bien des plaintes dont il rougirait, si on l’entendait, et il fera bien des choses qu’il n’aimerait pas qu’on le vît faire.

C’est vrai, dit-il.


VI  Or ce qui lui commande de résister, n’est-ce pas la raison et la loi, bet ce qui le porte à s’affliger, n’est-ce pas la souffrance[3] même ?

  1. Au livre IV, 439 c sqq.
  2. Au livre III, 387 d/e.
  3. La souffrance que sa disgrâce lui inflige.