Page:Platon - Sophiste ; Politique ; Philèbe ; Timée ; Critias (trad. Chambry), 1992.djvu/194

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

désordre, il ne sombre dans l’océan infini de la dissemblance, reprend sa place au gouvernail, et relevant les parties chancelantes ou dissoutes pendant la période antérieure où le monde était laissé à lui-même, il l’ordonne, et, en le redressant, il le rend immortel et impérissable.

Ici finit la légende. Mais cela suffit pour définir le roi, si nous le rattachons à ce qui a été dit plus haut. Quand en effet le monde se fut retourné vers la voie que suit aujourd’hui la génération, l’âge s’arrêta de nouveau et prit une marche nouvelle, contraire à la précédente. Les animaux qui, à force de diminuer, avaient été réduits presque à rien, se remirent à croître, et les corps nouvellement nés de la terre se mirent à grisonner, puis moururent et rentrèrent sous terre. Et tout le reste changea de même, imitant et suivant la modification de l’univers, et, en particulier, la conception, l’enfantement et le nourrissage imitèrent et suivirent nécessairement la révolution générale. Il n’était plus possible, en effet, que l’animal naquit dans le sein de la terre d’une combinaison d’éléments étrangers ; mais, de même qu’il avait été prescrit au monde de diriger lui-même sa marche, de même ses parties elles-mêmes durent concevoir, enfanter et nourrir par elles-mêmes, autant qu’elles pourraient, en se soumettant à la même direction.

Nous voici maintenant au point où tendait tout ce discours. En ce qui concerne les autres animaux, il y aurait beaucoup à dire et il serait long d’expliquer quel était l’état de chacun et par quelles causes il s’est modifié ; mais sur les hommes, il y a moins à dire et c’est plus à propos. Privés des soins du démon qui nous avait en sa possession et en sa garde, entourés d’animaux dont la plupart, naturellement sauvages, étaient devenus féroces, tandis qu’eux-mêmes étaient devenus faibles et sans protecteurs, les hommes étaient déchirés par ces bêtes, et, dans les premiers temps, ils n’avaient encore ni industrie ni art ; car la nourriture qui s’offrait d’elle-même étant venue à leur manquer, ils ne savaient pas encore se la procurer, parce qu’aucune nécessité ne les v avait contraints jusqu’alors. Pour toutes ces raisons, ils étaient dans une grande détresse. Et c’est pourquoi ces présents dont parlent les anciennes traditions nous furent apportés par les dieux avec l’instruction et les enseignements nécessaires, le feu par Prométhée, les arts par Héphaïstos et la compagne de ses travaux [15] , et les semences et les plantes par d’autres divinités [16] . De là sont sorties toutes les inventions qui ont contribué à l’organisation de la vie humaine, lorsque la protection divine, comme je l’ai dit tout à l’heure, vint à manquer aux hommes et qu’ils durent se conduire par eux-mêmes et prendre soin d’eux-mêmes, tout comme l’univers entier que nous imitons et suivons, vivant et naissant, tantôt comme nous faisons aujourd’hui, tantôt comme à l’époque