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Page:Platon - Sophiste ; Politique ; Philèbe ; Timée ; Critias (trad. Chambry), 1992.djvu/278

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et contraires les uns aux autres, affirmant ainsi que le même homme est grand et petit, pesant et léger, et mille autres choses[1] ?

SOCRATE

Tu viens de dire, Protarque, ce que tout le monde sait des étrangetés relatives à l’un et au multiple, et presque tout le monde s’accorde à dire qu’il ne faut pas toucher à ces sortes de choses, qu’on regarde comme puériles, faciles et faisant obstacle à la discussion. On ne devrait même pas prêter attention à des choses comme celle-ci, quand, par exemple, un homme ayant séparé par la pensée les membres et aussi les parties d’une chose et reconnu que toutes ces parties sont cette chose unique, se moque ensuite de lui-même et se réfute, parce qu’il a été contraint d’avancer des assertions prodigieuses, à savoir que l’un est plusieurs et qu’il est infini, et que plusieurs ne sont qu’un.

PROTARQUE

Mais dis-moi, Socrate, à propos du même sujet, quels sont les autres prodiges dont tu parles, qui ne sont pas encore reconnus ni familiers au public ?

SOCRATE

Ce qui est prodigieux, mon enfant, c’est de considérer comme unités des choses qui ne sont pas sujettes à la génération et à la corruption, comme dans les exemples que nous venons de voir. Car, en ce cas, quand il s’agit de cette sorte d’unité, on est d’accord, comme nous venons de le dire, qu’il ne faut pas la soumettre à l’examen. Mais, quand on veut établir que l’homme est un, que le boeuf est un, que le beau est un, que le bon est un, c’est sur ces unités et celles du même genre que l’intense intérêt qu’elles excitent tourne en division et en dispute.

PROTARQUE

Comment cela ?

SOCRATE

On conteste d’abord s’il faut croire que de telles unités existent réellement. On se demande ensuite comment ces unités dont chacune est toujours la même et n’admet ni génération ni distinction, ne restent pas inébranlablement les unités qu’elles sont, et enfin si, dans les choses qui sont soumises à la génération et qui sont en nombre infini, il faut admettre que cette unité est dispersée et devenue multiple, ou si elle y est tout entière séparée d’elle-même, ce qui paraît la chose du monde la plus impossible, puisque étant la même et une, elle serait a la fois dans une et dans plusieurs choses. Ce sont ces questions sur cette sorte d’un et de multiple, et non les

  1. Cf. Parménide, 129 c-d : «  Si c’est moi qu’on montre comme étant un et multiple, qu’y a-t-il là d’étonnant ? On peut alléguer, quand on veut montrer que je suis multiple, que mon côté droit diffère de mon côté gauche, ma face de mon dos, et de même pour le haut et le bas de ma personne ; car je participe, j’imagine, de la pluralité. Veut-on, au contraire, montrer que je suis un, on dira que, des sept hommes ici présents, j’en suis un, puisque j’ai part aussi à l’unité. Les deux affirmations apparaîtront ainsi comme vraies. Si donc on entreprend de prouver que des choses telles que les pierres, les morceaux de bois et autres pareilles sont à la fois unes et multiples, nous dirons qu’on montre bien que ces choses sont unes et multiples, mais non que l’un est multiple et le multiple un, et qu’on ne dit rien là de surprenant, mais bien ce que nous accordons tous.  »