Page:Platon - Sophiste ; Politique ; Philèbe ; Timée ; Critias (trad. Chambry), 1992.djvu/429

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épaissi se transforme en nuage et en brouillard, et que ceux-ci, comprimés encore davantage, donnent de l’eau courante, que l’eau devient de nouveau de la terre et des pierres, de sorte que les éléments, à ce qu’il semble, se transmettent en cercle la naissance les uns aux autres. Ainsi, puisque nul d’entre eux ne se montre jamais sous la même figure, duquel d’entre eux pouvons-nous affirmer positivement qu’il est telle ou telle chose et non une autre, sans rougir de nous-mêmes ? Personne ne le peut. Il est beaucoup plus sûr de s’exprimer à leur sujet de la façon suivante. Voyons-nous un objet passer sans cesse d’un état à un autre, le feu, par exemple, ce n’est point cet objet, mais ce qui a toujours cette qualité qu’il faut appeler feu ; ne disons pas non plus que ceci est de l’eau, mais ce qui a toujours cette qualité, et ne parlons jamais d’aucun de ces éléments comme ayant de la stabilité, ce que nous faisons, quand nous les désignons par les termes ceci et cela, nous imaginant indiquer quelque chose de déterminé. Car ces éléments sont fuyants et n’attendent pas qu’on puisse les désigner par ceci et cela et cet être ou par toute autre expression qui les représente comme permanents. Il ne faut appliquer ces termes à aucun d’eux, mais les réserver à ce qui est toujours tel et circule toujours pareil, quand on parle, soit de l’un d’eux, soit de tous ensemble. Ainsi, par exemple, nous appellerons feu ce qui a partout cette qualité, et de même pour tout ce qui est soumis à la génération. Mais ce en quoi chacun des éléments naît et apparaît successivement pour s’évanouir ensuite, cela seul peut être désigné par les expressions cela et ceci. Au contraire, ce qui est de telle ou telle qualité, chaud, blanc, ou de toute autre qualité contraire, et tout ce qui en est dérivé, ne sera jamais désigné par le terme cela.

Tâchons de mettre encore plus de clarté dans notre exposition. Supposons qu’un artiste modèle avec de l’or des figures de toute sorte, et qu’il ne cesse pas de changer chacune d’elles en toutes les autres, et que, montrant une de ces figures, on lui demande ce que c’est, la réponse de beaucoup la plus sûre, au point de vue de la vérité, serait c’est de l’or. Quant au triangle et à toutes les autres figures que cet or pourrait revêtir, il n’en faudrait pas parler comme d’êtres réels, puisqu’elles changent au moment même où on les produit ; et s’il y a quelque sûreté à admettre qu’elles sont « ce qui est de telle qualité » il faut s’en contenter. Il faut dire la même chose de la nature qui reçoit tous les corps : il faut toujours lui donner le même nom ; car elle ne sort jamais de son propre caractère : elle reçoit toujours toutes choses sans revêtir jamais en aucune façon une seule forme semblable à aucune de celles qui entrent en elle. Sa nature est d’être une matrice pour toutes choses ; elle est mise en mouvement et découpée en figures par ce qui entre en elle, et c’est ce qui la fait paraître