Page:Pline le Jeune - Panégyrique de Trajan, trad. Burnouf, FR+LA, 1845.djvu/151

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corps, on ne le voit pas suivre des yeux ou du geste les mouvements de la voile flottante ; mais il s’assied au gouvernail, et dispute aux plus robustes de ses amis l’honneur de briser les flots, de dompter les vents mutinés, de surmonter à force de rames les plus rapides courants.

LXXXII- Combien il diffère de cet autre prince qui ne pouvait supporter le repos même du lac d’Albe ou l’eau dormante et silencieuse de Baïes, ni souffrir l’impulsion et le bruit de la rame, sans tressaillir, à chaque coup, d’une honteuse frayeur ! Aussi, loin de tout ce qui frappe l’oreille ou donne quelque secousse, immobile sur un navire attaché à la poupe d’un autre, cet empereur était traîné comme une victime chargée de la colère céleste. Spectacle humiliant ! le chef suprême du peuple romain suivait, comme sur un vaisseau captif, une course qu’il ne dirigeait pas, un pilote qui n’était pas le sien. Et les fleuves mêmes, les simples rivières, furent aussi témoins de cette indignité. Le Danube et le Rhin se réjouissaient de promener sur leurs eaux cette grande ignominie de l’empire, étalée en spectacle aux aigles romaines, à nos enseignes, à notre rive, et, pour comble de déshonneur, à la rive des ennemis, de ces ennemis qui tous les jours sillonnent de leurs barques ou traversent à la nage ces mêmes fleuves, hérissés de glaçons ou débordés sur les campagnes, aussi hardiment que lorsqu’ils coulent tranquilles et navigables. Ce n’est pas que je prise beaucoup par eux-mêmes un corps robuste et des bras nerveux ; mais si une âme plus forte que tout le reste est maîtresse de ce corps, une âme que n’amollissent point les caresses de la fortune, que l’opulence du rang suprême n’entraîne point au luxe et à la paresse alors la vigueur peut faire montre d’elle-même sur la mer ou sur les montagnes ; j’admirerai un tempérament qui se plaît à l’action, des membres qui se développent dans les travaux. Je vois en effet que, dans les siècles reculés, ce fut par de tels moyens, autant que par l’éclat de leurs alliances, que s’illustrèrent les époux des déesses et les enfants des dieux. Et quand je pense que ce sont là les jeux et les amusements de César, je me demande quelles doivent être les heures sérieuses et appliquées dont il se délasse par ces nobles passe-temps : car le choix des plaisirs est souvent le plus sûr témoignage de la tempérance, de la gravité, de la sainteté des mœurs. Quel