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XCVII
UNION DE L’ÂME ET DU CORPS.

circonscrit dans un certain espace, n’est pas partout où est sa lumière, de même que le feu demeure dans le bois ou dans la mèche de la lampe, comme renfermé dans un lieu ; mais l’âme, étant incorporelle et ne souffrant pas de circonscription locale, est tout entière partout où est sa lumière, et il n’est pas de partie du corps illuminé par elle dans laquelle elle ne soit présente tout entière. Ce n’est pas le corps qui commande à l’âme ; c’est l’âme, au contraire, qui commande au corps. Elle n’est pas dans le corps comme dans un vase ou dans une outre ; c’est plutôt le corps qui est en elle[1].

L’intelligible n’est donc pas emprisonné par le corps ; il se répand dans toutes ses parties, il les pénètre, il les parcourt et ne saurait être renfermé dans un lieu : car en vertu de sa nature, il réside dans le monde intelligible ; il n’a point de lieu que lui-même ou qu’un intelligible placé encore plus haut. C’est ainsi que l’âme est en elle-même quand elle raisonne, et dans l’intelligence lorsqu’elle se livre à la contemplation. Lors donc qu’on affirme que l’âme est dans le corps, on ne veut pas dire qu’elle y soit comme dans un lieu[2] ; on entend seulement qu’elle est en rapport habituel avec lui, et qu’elle s’y trouve présente, comme nous disons que Dieu est en nous. Car nous pensons que l’âme est unie au corps, non pas d’une manière corporelle et locale, mais par son rapport habituel, son inclination et sa disposition, comme un amant est attaché à celle qu’il aime[3]. D’ailleurs, l’affection de l’âme n’ayant ni étendue, ni pesanteur, ni parties, ne saurait être circonscrite par des limites locales. Dans quel lieu ce qui n’a point de parties peut-il être renfermé ? Car le lieu et l’étendue corporelle sont inséparables : le lieu est l’espace limité dans lequel le contenant renferme le contenu. Mais si l’on disait : Mon âme est donc à Alexandrie, à Rome, et partout ailleurs ; on parlerait encore de lieu sans y prendre garde, puisque être à Alexandrie, ou, en général, être quelque part, c’est être dans un lieu : or, l’âme n’est absolument en aucun lieu, elle peut seule-

  1. Voy. p. 356, 358.
  2. « Pour concevoir que Dieu est incorporel et n’est point circonscrit dans un lieu, réfléchis à ta nature : ton âme est incorporelle, ton intelligence ne réside pas dans tel ou tel lieu ; elle n’est dans un lieu que par son union avec le corps. Crois que Dieu est invisible, en pensant à ton âme qui ne peut être saisie par les yeux du corps. En effet, elle n’a ni couleur, ni figure ; elle n’est pas circonscrite par une forme corporelle ; elle ne se révèle que par ses actes. » (Saint Basile, Homélie sur le précepte : Observe-toi toi-même, § 7.)
  3. Voy. Enn. I, liv. I, § 12, p. 49 ; liv. VIII, § 14, p. 137.