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LIVRE DEUXIÈME.

de faire aucun raisonnement. Cependant, cet ordre est si parfait que celui qui sait le mieux raisonner serait étonné de voir qu’avec le raisonnement on ne pourrait arriver à un plan meilleur que celui qu’on voit toujours réalisé dans les natures particulières, et que ce plan est plus conforme aux lois de l’intelligence que celui qu’on trouverait avec le raisonnement[1]. Dans aucune espèce des choses qui naissent il n’est donc juste d’accuser la Raison qui produit toutes choses (ὁ ποιῶν λόγος), ni de réclamer, pour les êtres dont l’existence a commencé, la perfection des êtres dont l’existence n’a pas commencé et qui sont éternels, soit dans le monde intelligible, soit même dans le monde sensible. Ce serait vouloir que chaque être possédât plus de bien qu’il n’en comporte et regarder comme insuffisante la forme qui lui a été donnée[2] ; ce serait se plaindre, par exemple, de ce que l’homme n’a pas de cornes, et ne pas remarquer que, si la Raison a dû se répandre partout, il fallait cependant qu’une grande chose en contînt de moindres, que dans le tout il y eût des parties, et que celles-ci ne sauraient être égales au tout sans cesser d’être

  1. Voy. t. I, p. 191. Némésius dit encore à ce sujet : « Nous devons nous garder de rejeter la Providence parce que nous ne la comprenons pas suffisamment. En effet, les choses que vous regardez comme mal faites sont cependant produites par le Créateur selon les lois de la plus haute raison ; mais, comme vous ne connaissez pas ces lois, vous vous hâtez de blâmer ce qui en résulte. » (De la Nature de l’homme, chap. XLIV, p. 266 de la trad.)
  2. La vertu est la plus belle qualité des choses créées, mais ce n’est pas la seule qualité des créatures ; il y en a une infinité d’autres qui attirent l’inclination de Dieu : de toutes ces inclinations résulte le plus de bien qu’il se peut, et il se trouve que s’il n’y avait que vertu, s’il n’y avait que créatures raisonnables, il y aurait moins de bien. Outre que la sagesse doit varier… La nature a eu besoin d’animaux, de plantes, de corps inanimés ; il y a dans ces créatures non raisonnables des merveilles qui servent à exercer la raison. » (Leibnitz, Théodicée, II, § 124.)