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TROISIÈME ENNÉADE.


chaque partie remplit sa fonction. Il faut cependant que chacune ait sa vertu propre avant qu’il y ait harmonie, ou son vice, avant qu’il y ait désaccord. Quelle est donc la chose dont la présence rend chaque partie de l’âme bonne ou mauvaise ? C’est évidemment la présence de la vertu ou du vice. Si l’on admet que, pour la partie raisonnable, le vice consiste dans l’ignorance[1], il n’y a là qu’une simple négation, on n’attribue rien de positif à la raison.

Mais, quand il y a dans l’âme quelques-unes de ces fausses opinions qui sont la principale cause du vice, ne faut-il pas avouer qu’il se produit alors en elle quelque chose de positif et qu’une de ses parties subit une altération ? La partie irascible n’est-elle pas dans une disposition différente selon qu’elle est courageuse ou lâche ; et la partie concupiscible, selon qu’elle est tempérante ou intempérante ? — Quand une partie de l’âme est vertueuse, c’est qu’elle agit conformément à son essence, qu’elle obéit à la raison (car la raison commande à toutes les parties de l’âme et est soumise elle-même à l’intelligence). Or, obéir à la raison, c’est voir ; ce n’est pas recevoir une empreinte, c’est avoir une intuition, accomplir l’acte de la vision[2]. La vue a la même essence quand elle est en puissance et quand elle est en acte ; elle n’est pas altérée quand elle passe de la puissance à l’acte[3] ; elle ne fait que s’appliquer à ce qu’il est dans son essence de faire, à voir et à connaître, sans pâtir. La partie raisonnable est dans le même rapport avec l’intelligence ; elle en a l’intuition[4]. Quant à l’intelligence, sa nature n’est pas de recevoir une empreinte semblable à celle que fait un cachet[5], mais elle possède en un sens ce qu’elle voit, et elle

  1. Au lieu de ἄνοιαν, nous lisons ἄγνοιαν avec M. Kirchhoff. L’ignorance est le vice opposé à la vertu appelée prudence. Pour l’explication de cette phrase et de celles qui suivent, Voy. le tome l, p. 62.
  2. Voy. Enn. I, liv. II, § 4 ; t. I, p. 57.
  3. Voy. Enn. II, liv. V ; § 2 ; t. I, p. 227.
  4. Voy. Enn. I, liv. II, § 4 ; t. I, p. 57 et 348.
  5. Voy. les Éclaircissements du tome I, p. 334, note 1.