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TROISIÈME ENNÉADE.


Les contraires ne pâtissent que par l’action des contraires. Les choses qui sont simplement différentes n’amènent pas de changement les unes dans les autres. Quant à celles qui n’ont pas de contraires, elles ne sauraient évidemment pâtir par l’action d’aucun contraire. Donc ce qui pâtit ne peut être matière ; ce doit être un composé de forme et de matière ou une chose multiple[1]. Mais ce qui est isolé, séparé de tout le reste, tout à fait simple, doit demeurer impassible à l’égard de toutes choses et rester comme une espèce de milieu où les autres choses agissent les unes sur les autres. De même, plusieurs objets peuvent se choquer dans une maison sans que la maison pâtisse elle-même non plus que l’air qui s’y trouve. Ce sont donc les qualités réunies dans la matière qui agissent les unes sur les autres, autant que cela est dans leur nature. Quant à la matière elle-même, elle est bien plus impassible encore que ne le sont les qualités entre elles, quand elles se trouvent n’être pas contraires.

X. Si la matière pouvait pâtir, elle devrait garder quelque chose de la passion qu’elle éprouve, soit retenir la passion même, soit se trouver dans un état différent de celui qu’elle avait avant de pâtir. Mais, quand une qualité survient ainsi après une autre qualité, ce n’est plus la matière qui la reçoit, c’est la matière déterminée déjà par une qualité. Si la qualité s’évanouit en laissant quelque trace d’elle-même par l’action qu’elle a exercée, le sujet s’altérera encore plus ; en procédant de cette manière, il sera toute autre chose que la matière pure, il sera quelque chose de multiple par ses formes et par ses manières d’être. Ce ne sera donc plus le commun réceptacle de toutes choses, puisqu’il aura en lui-même un obstacle à beaucoup des choses qui pourraient lui survenir ; la matière ne subsis-

  1. Voy. Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § XI ; t. I, p. LXI.