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LIVRE SIXIÈME.


qu’elle éclaire de ses rayons. Une pierre refroidie participe quelque peu de la nature propre à la chose qui la refroidit ; elle n’en reste pas moins pierre. Quelle passion la lumière fait-elle subir à une ligne, à une surface[1] ? Peut-être dira-t-on que dans ce cas la substance corporelle pâtit ; mais comment peut-elle pâtir par l’action de la lumière ? Pâtir, en effet, ce n’est pas jouir de la présence d’une chose ni recevoir une forme. Les miroirs et en général les objets diaphanes, ne pâtissant point par l’effet des images qui s’y peignent, offrent un exemple heureux de la vérité que nous énonçons ici. En effet, les qualités sont dans la matière comme de simples images, et la matière elle-même est plus impassible encore qu’un miroir. La chaleur, le froid se produisent en elle sans l’échauffer ni la refroidir : car réchauffement et le refroidissement consistent en ce qu’une qualité du sujet fait place à une autre. (Remarquons en passant qu’il ne serait pas sans intérêt d’examiner si le froid n’est pas simplement l’absence de la chaleur[2].) En entrant dans la matière, les qualités n’agissent pour la plupart les unes sur les autres que lorsqu’elles sont contraires. Quelle action, en effet, une odeur pourrait-elle exercer sur une douce saveur ? une couleur sur une figure ? Comment, en général, ce qui appartient à un genre pourrait-il agir sur ce qui appartient à un autre ? C’est ce qui montre qu’une qualité peut faire place à une autre dans un même sujet, ou une chose être dans une autre, sans que sa présence cause aucune modification au sujet auquel ou dans lequel elle est présente. De même qu’une chose n’est pas altérée par la première venue, de même ce qui pâtit et change ne reçoit pas de modification passive ni de changement de toute espèce d’objet.

    qu’elle demeure ; personne n’en doute, personne ne juge autrement, etc.

  1. Cet exemple est emprunté à Aristote, De la Génération, I, 7.
  2. Ici Plotin est pleinement d’accord avec la physique moderne.